Nous sommes les ambassadeurs du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu… Les mots de St Paul à la communauté divisée de Corinthe en ce temps-là me semblent revêtir une actualité nouvelle pour notre temps. Dans notre monde fracturé par des conflits et des oppositions de toutes sortes, comment pouvons-nous être des ambassadeurs du Christ ?
En premier lieu sans doute, en nous laissant réconcilier avec Dieu. Un ambassadeur se doit d’être fidèle à celui qu’il représente. Je pense au sacrement de la réconciliation, à privilégier en ce temps de carême, mais la question déborde largement du domaine liturgique. Il s’agit d’accueillir dans notre vie la présence miséricordieuse du Seigneur. On a trop fait de lui un juge perspicace qui nous attend au détour de nos mauvaises actions et de nos défaillances. Ce n’est pas du tout cette image-là qu’il nous donne de lui-même dans l’Ecriture Sainte, où nous reconnaissons sa parole. Dès le premier Testament, il est celui qui libère son peuple et lui permet, comme nous l’avons entendu dans le livre de Josué, de ne plus être dépendant de la manne tombée du ciel pour se nourrir, mais de cultiver la terre et de manger ses récoltes. Goutez et voyez comme est bon le Seigneur, avons-nous ponctué avec le psaume.
Et puis cette magnifique histoire de l’enfant prodigue, comme on l’appelle habituellement, mais il serait plus juste de l’intituler ‘Le Père miséricordieux’, car c’est lui le personnage principal. Il partage ses biens entre ses deux fils, à la demande du plus jeune. On connaît l’aventure de ce sale gamin qui s’en va mener la grande vie, puis doit se livrer à un métier dégradant, le pire de tous pour un Juif : garder des cochons. Et finalement, tenaillé par la faim, il se décide à revenir chez son père dans l’espoir d’être accepté comme ouvrier. Et il est reçu comme un prince ! Scandale pour les pharisiens et les scribes bien-pensants, qui critiquaient Jésus parce qu’il fréquentait des pécheurs publics et des collecteurs d’impôts au service de l’occupant romain… Jésus en rajoute encore, en montrant le fils aîné, travailleur fidèle comme ses interlocuteurs, qui refuse d’entrer à la fête. L’histoire ne dit pas ce qu’il a finalement décidé ; le père lui laisse sa chance, il lui exprime simplement sa joie : ton frère était mort, et il est revenu à la vie ! …La porte de l’amour divin est toujours ouverte pour qui accepte de l’accueillir.
Il existe une autre lecture de cette parabole : elle a été développée notamment par certains pères de l’Eglise. Le fils cadet serait Jésus, qui a quitté la maison du Père pour rejoindre l’humanité pécheresse, et qui est mort mais il est revenu à la vie… Ceci donne encore plus de vigueur à l’histoire et en élargit le sens : la miséricorde de Dieu, qui a assumé notre condition humaine, est infinie.
Accueillir cette miséricorde, nous laisser réconcilier avec Dieu est la première étape pour devenir ambassadeur du Christ. La seconde est, selon l’expression de Paul, d’exercer nous-mêmes le ministère de la réconciliation. Dieu sait bien, mieux que nous encore, combien cette tâche de réconciliation entre les humains est nécessaire à notre époque. J’évoquais en commençant le monde fracturé où nous vivons. Notre action, quelle qu’elle soit, peut être utile mais n’aura que peu d’impact sur la guerre en Ukraine, en Palestine, au Kivu, au Soudan et ailleurs encore. Notre partage de carême, lui, aura un effet réel pour les associations qui s’efforcent d’améliorer les conditions de vie de nombreuses familles au Pérou. Ne négligeons pas non plus l’importance de la prière en communion avec les gens qui souffrent de ces situations. C’est aussi une manière d’être ambassadeur du Christ et d’exercer le ministère de la réconciliation… Et n’oublions surtout pas que notre voisin dans cette église, l’automobiliste que nous croisons sur la route, la caissière du grand magasin … est une sœur ou un frère pour qui la maison de notre cœur, comme celle de Dieu, devrait être toujours ouverte…
Abbé René Rouschop
Lectures: Jos 5, 9a.10-12 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32