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« Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres ! » Qui, chers amis, n’a pas chanté un jour cette chanson un peu paillarde autour d’un feu de camp ou lors d’une soirée entre copains ?

Il est des nôtres ! Oui, nous avons besoin de ces moments où l’on se retrouve, entre amis ou  entre gais lurons d’un groupe qui, partageant les mêmes codes,  fêtent la joie d’être ensemble.

Il est des nôtres ! On a aussi tous  fait l’expérience désagréable voire humiliante de s’être sentis ostracisés, non intégrés. Que dire des personnes expatriées et exilées pour qui c’est une épreuve constante que de ne pas se sentir assimilés malgré leurs efforts.

C’est que ce besoin d’être bien entre soi recèle un piège, celui de l’exclusion, de la mise à part, de la ségrégation. Et l’on sait tous où, poussé à l’extrême,  cet ostracisme peut conduire ! Les textes de ce jour dévoilent ce piège et mettent en garde contre le risque de décider de qui peut être compté au nombre des élus.  Dans l’extrait du livre des Nombres, Josué intervient auprès de Moïse pour lui signifier qu’Eldad et Médad s’étaient mis à prophétiser alors qu’ils n’étaient pas avec les autres et qu’ils méritaient d’être arrêtés. Mais Moïse refuse de rentrer dans ce jeu et lui rétorque : « Serais-tu jaloux pour moi ? Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son Esprit !»

Moïse nous fait entendre que l’esprit de prophétie n’est pas le monopole de quelques-uns, qu’il déborde le groupe constitué et que, non seulement la jalousie n’est pas de mise, mais qu’il faut se réjouir au contraire de cette bonne nouvelle que l’Esprit prend le large et qu’il souffle où il veut !

Nous retrouvons ce même cas de figure dans l’Evangile, le même schéma pour une intrigue similaire.   Jean s’adresse à Jésus et lui signifie que quelqu’un chassait les démons en son nom alors qu’il ne faisait pas partie du groupe des disciples. A ses yeux, c’était une imposture. Mais Jésus se garde bien lui aussi d’entrer dans cette perspective discriminatoire et exclusive. Il souligne la seule exigence : agir en son nom. Et encore. Dans un deuxième temps, il énonce cette simple condition de ne pas être contre lui : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».

Quelle ouverture inouïe pour le temps de Jésus et pour le nôtre ! Jésus nous appelle à ouvrir les yeux et affûter nos oreilles : ce qui se fait de beau et de bon est digne d’être reconnu, quand l’homme devient plus humain, même s’il ne se réclame pas du Christ. Il le rejoint en cette humanité qu’il contribue à faire grandir. Nous devrions dès lors nous réjouir davantage lorsque des valeurs, qui ne se revendiquent pas du Christ ou de l’Evangile, rencontrent son dynamisme. Un exemple récent m’est suggéré par une lettre de la journaliste-essayiste Anne SOUPA*, connue pour son engagement en faveur de la place des femmes dans l’Eglise.

Mais ici, c’est à propos des jeux paralympiques de cet été 2024 que je me réfère à elle. Elle écrivait ceci, tout en reconnaissant par ailleurs qu’il y avait encore beaucoup à faire : « Aux très nombreux commentaires qui en font état, je voudrais ajouter un regard de croyante. Pour ceux et celles qui sont religieux, chrétiens, en particulier, ce succès est réconfortant. Il permet de vérifier que la cause du plus faible, du petit, du fragile, de l’éprouvé par le sort, qu’il soit handicapé, malade ou autre (…),  portée par la plupart des religions, en particulier celle du Christ, trouve de mieux en mieux sa place au sein des sociétés laïcisées. »  Et, elle terminait sa lettre, datée de la fin des jeux,  par  cette parole  toute simple : « Je crois que, ce soir, là-haut, le « Bon Dieu » doit être content. »

Je reviens à l’Evangile et à sa seconde partie d’une tonalité bien radicale, en lien précisément, avec les plus petits : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes ou qu’on le jette à la mer. »  Jésus, vraiment, n’y va pas de main morte !

En fait, j’imagine que, dans la mémoire évangélique, il devait arriver à Jésus d’être excédé par la difficulté des disciples à entrer dans la dynamique du Royaume.  L’extrait précédant le nôtre, lu dimanche dernier,  laisse entendre qu’ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. La réaction sectaire de Jean après la réponse de Jésus, « Si quelqu’un veut être le premier qu’il soit le dernier, serviteur de tous», montre qu’il n’a pas compris l’esprit dans lequel il voulait les emmener.

Aussi invite-t-il ses disciples à se tourner, non plus à l’extérieur, vers un imposteur éventuel, mais à l’intérieur,  vers eux-mêmes. A voir, en eux, ce qui est objet de chute pour les autres et pour eux-mêmes,  ce qui les empêche de se mettre à la suite de leur maître. Mieux vaut, dit Jésus avec virulence,  arracher sa main, son pied, son œil s’ils font obstacle au Royaume.

Ces images fortes nous rappellent le côté tranchant de l’Evangile. Pour les disciples et pour nous aussi ! Ne sommes-nous pas invités à notre tour à arracher, en nous, ce qui fait obstacle au Christ, ce qui nous retient de prendre au sérieux l’évangile qui bouscule nos réactions premières et renverse les codes du monde ?

*Anne SOUPA, Lettre n° 31, 8 septembre 2024, Quelques conclusions à tirer des jeux paralympiques.

Marie-Pierre Polis

Lectures: Nb 11, 25-29 ; Ps 18b, 8, 10, 12-13, 14 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9 38-43.45.47-48

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