Les textes de ce Jeudi saint nous font entrer dans le mystère du temps et dans ce jeu de miroir entre passé, présent et futur.
La première lecture nous raconte le repas qui anticipe la Pâque, la libération d’Egypte, et introduit l’idée d’un mémorial pour l’avenir : anticipation, événement et mémoire ouvrant un travail de réactualisation pour demain.
Autrement dit, quand les hébreux se trouvaient au cœur de l’événement de la Pâque, au milieu des colonnes d’eau qui leur permettaient de franchir la mer à pied sec, alors qu’ils étaient poursuivis par les soldats de pharaon, ils ne songeaient sans doute plus au repas de l’agneau, aux herbes amères et aux différents symboles de ce rite. A vrai dire, ils ne pensaient qu’à une chose : sauver leur peau ! Puis quand tout s’est calmé. Quand ils furent passés de l’autre côté, libres et débarrassés de leurs oppresseurs, ils réfléchirent ensemble et se demandèrent: Qui nous a fait sortir d’Egypte ? Et bien, c’est Moïse. Oui, mais qui a envoyé Moïse ? C’est Dieu, celui d’Abraham, celui que toutes ces années d’esclavage nous avaient fait oublier, nous faisant perdre ainsi notre identité profonde. Cette prise de conscience se traduit par une grande joie qui envahit le cœur, et d’allégresse, Myriam, la sœur de Moïse prend son tambourin et tout le monde se met à chanter et on fait une fête. Mais on se dit : pour ne pas oublier cet événement-parole incroyable, il faut l’inscrire dans le temps, le fêter chaque année et est inventée la fête de Pâque et sa liturgie. Mais pour être sûr de ne pas oublier, nous allons l’écrire dans un texte en hébreu qui sera traduit en grec, puis en latin et dans toutes les langues de la terre, y compris la nôtre dans les récits que nous écoutons ces jours saints, textes qui contiennent la Parole de Dieu, c’est-à-dire l’événement de son salut qui peut se rejouer dans nos vies.
Tout commencement se reconnaît a posteriori. C’est ce que feront les disciples d’Emmaüs et la première Eglise.
Mais les apôtres attablés avec Jésus au soir de la Cène, à l’approche de la fête de Pâque, n’avaient pas conscience de vivre la première eucharistie. Ils étaient inquiets pour demain, attentifs au présent, remplis de l’enseignement et de la vie partagée avec leur maître hier. Passé, présent et futur, comme dans le psaume qui résonne en écho dans le passé : « Tout le bien qu’il m’a fait. Toi qui as brisé mes chaîne… » Au présent : » Je suis ton serviteur. » Et dans le futur : « Je rendrai au Seigneur. Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce. J’invoquerai le nom du Seigneur. Je tiendrai mes promesses. »… malgré et au-delà de la mort qui se profile. Et dans ce jeu des temps surgit un présent qui nous ouvre à une autre dimension : » Ceci est mon corps. »
Le cœur de l’événement, le don de la vie de Jésus pour nous se conjugue au présent pour toujours. « Faites ceci en mémoire de moi. » La mémoire n’est pas souvenir nostalgique, mais actualisation renouvelée de ce qui continue de se passer pour nous et ouverture à l’éternité. Dans « Ceci est mon corps », le temps est tout entier présent et, en son centre, il devient porte ouverte sur l’éternité, sur le Royaume : dans cette parole prononcée par Jésus, dans ce moment liturgique vécu avec intensité, mais aussi dans tout acte d’amour posé en Lui. Et c’est le sens du lavement des pieds de l’évangile. Vivre la Présence et la Confiance en Jésus dans l’eucharistie et dans la pratique de l’amour exprimé dans le moindre geste de bienveillance au nom du Christ, cela nous ouvre les portes de l’éternité par-delà la catastrophe imminente et apparemment absolue : la passion qui s’approche pour Jésus et, pour nous, les bruits de guerre et les inquiétudes à propos de l’avenir de notre planète et de l’humanité. Mais quel que soit ce que sera demain, la liturgie nous apprend qu’aucune prière et qu’aucun acte d’amour ne seront perdus.
Ils sont engrangés dès maintenant dans les greniers du Royaume.
Car un jour, il ne restera que l’amour et la Parole ne passera pas, car elle est Amour :
» Ceci est mon corps livré pour vous.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe
Ex 12, 1-8.11-14
Ps 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18
1 Co 11, 23-26
Jn 13, 1-15