« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » La question de Jésus n’est-elle pas saugrenue ? C’est l’impression qu’elle donne si on suppose que le seul désir d’un aveugle est de voir et si on imagine que Bartimée a entendu parler des guérisons de Jésus. Mais rien de cela n’est certain. On peut essayer de dresser l’inventaire des autres désirs que l’aveugle aurait pu exprimer et des autres réponses que Jésus lui aurait données. Je me suis livré à cet exercice ici-même, il y a douze ans. Vous ne vous en souvenez pas et je suis tenté d’en profiter pour me dispenser de faire du neuf, mais vous savez sans doute que ma conscience professionnelle m’interdit de prononcer deux fois la même homélie au même endroit. Consciemment, du moins. Je radote peut-être.
En écoutant l’évangile de dimanche dernier, j’ai pensé que la question de Jésus pouvait avoir un autre intérêt : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Car il vient de poser la même question aux deux fils de Zébédée, quand ils se sont approchés pour lui dire : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. – Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » C’est la même question, à quelques versets d’intervalle. L’évangéliste ne veut-il pas nous suggérer quelque chose ?
Dès que l’aveugle répond à cette question de Jésus, il retrouve la vue. Aussitôt, précise Marc, selon son habitude. C’est le mot de Marc, quarante-deux fois dans son court évangile : aussitôt. Sitôt dit, sitôt fait. On dirait que Jésus n’y est presque pour rien. « Retourne, ta foi t’a sauvé, c’est toi qui as fait le boulot, il suffisait que tu dises ce que tu voulais. »
S’il en est ainsi, ne sommes-nous pas appelés à jeter un autre regard sur la demande de Jacques et de Jean que nous avons entendue dimanche ? « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
Il me semble qu’on a généralement jugé cette démarche comme une bévue, cette demande comme déplacée, prétentieuse, stupide ou inconvenante. C’est bien l’opinion des dix autres disciples, qui se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. C’est probablement ce que pensait l’évangéliste Matthieu quand, au moment de raconter le même épisode, il a voulu dédouaner les deux apôtres en mettant la demande sur le compte de leur mère.
Mais en plaçant devant nous, tout de suite, l’audace obstinée de Bartimée et sa fécondité, Marc ne nous invite-t-il pas à réviser notre jugement ? N’aurions-nous pas avantage à désirer nous aussi, d’un grand désir, être auprès de Jésus, sans plus attendre ? Certes, il pouvait y avoir dans la démarche des fils de Zébédée un brin de naïveté : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. » Mais Jésus ne les a pas rabroués, et il leur a même promis qu’ils boiraient à sa coupe et recevraient son baptême.
Pour nous aussi, il y a des étapes à franchir. Nous n’obtenons pas tout sans délai. Et de toute façon, puisque Dieu est infini, nous n’aurons jamais terminé de le découvrir. Chaque fois qu’il comblera notre désir, ce sera pour le creuser davantage, pour le relancer. Mais cela ne nous empêche pas de goûter dès maintenant la réalisation de sa promesse. Nous avons été plongés dans son baptême et nous pouvons nous approcher de sa coupe. N’est-ce pas cela que Jésus nous laissera deviner quand il dira quelques versets plus loin (Mc 11,24) : « Tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez obtenu, et cela vous sera accordé. » Aussitôt.
Frère François
Lectures: Jr 31, 7-9 ; He 5, 1-6 ; Mc 10, 46b-52