Écoutez la voix des guetteurs : ils élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion.
Le jour de Noël, nous pouvons écouter cette phrase sans sursauter. Marie, Joseph, l’âne, le bœuf, les bergers, les moutons, les mages demain – ou dans quinze jours, tous voient Dieu de leurs propres yeux. Dieu s’est fait homme, l’invisible s’est rendu visible, c’est bien cela qui nous rassemble, cela que nous célébrons. Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais le Verbe, qui est Dieu, s’est fait chair. Et donc, désormais, nous pouvons voir le Seigneur qui revient. De nos propres yeux. Facile. Les guetteurs crient de joie parce qu’ils voient le Seigneur de leurs propres yeux.
Tout de même, il y a là quelque chose qui m’intrigue. C’est que cette phrase vient du livre d’Isaïe. Isaïe, c’est longtemps avant Noël. Au temps où Dieu était encore invisible. Comment peut-il nous dire que les guetteurs voient le Seigneur qui revient ? Les plus raisonnables vont me répondre : ce qu’ils voient, c’est l’arche d’alliance qui revient dans les ruines de Jérusalem. Il y a sur l’arche deux chérubins qui déploient leurs ailes en forme de trône, Dieu est censé être assis dessus. Là où se trouve l’arche, il y a Dieu. Soit. Mais je me suis tout de même demandé si les guetteurs de la prophétie voyaient bien le Seigneur de leurs propres yeux.
Le texte hébreu dit qu’ils le voient aïn be aïn, œil en œil. Œil contre œil, traduit André Chouraqui. Selon la Traduction œcuménique de la Bible, ils voient le Seigneur les yeux dans les yeux. Qu’est-ce que cela veut dire ?
La nouvelle Bible Segond écrit qu’ils voient Dieu face à face : c’est Dieu qui se montre à eux face à face. Une note de la Traduction œcuménique précise que cette expression ne prétend pas qu’Israël voit le Dieu invisible, mais indique sa proximité, l’intimité dans laquelle il introduit son peuple. Cela rejoint peut-être notre expérience. Nous avons parfois pu sentir ce regard de tendresse posé sur nous quand nous étions en prière. D’ordinaire, cela ne dure pas. Mais une telle expérience, aussi passagère qu’elle soit, laisse des traces. Il reste possible d’en faire mémoire, et de garder ainsi la conviction que Dieu nous regarde, que ses yeux ne se sont pas détournés. Car l’amour qu’il nous a laissé pressentir autrefois est l’amour dont il nous aime aujourd’hui, même si nous ne le sentons plus, même si nous avons l’impression qu’il s’est éloigné. La nuit, nous ne voyons plus le soleil, mais il est bien là. Sans quoi nous mourrions de froid.
Dire que les guetteurs voient le Seigneur les yeux dans les yeux pourrait encore signifier autre chose. Chacun ne le voit que dans les yeux des autres. C’est pour cela que les moines chantent l’office tournés les uns vers les autres. Il y a bien dans notre église un tabernacle, discret, et il n’est pas interdit d’aller se placer devant lui pour prier. Mais quand nous nous rassemblons pour la prière commune, ce n’est pas vers le tabernacle que nous nous tournons. Dieu est plus visible sur le visage de mes frères que sur un crucifix, une icône, un autel ou un tabernacle.
Cela suppose, surtout à la longue, un acte de foi. Mais c’est à cela que nous appelle la fête de Noël. Depuis que Dieu a pris visage d’homme, tout visage d’homme – et de femme – est un visage de Dieu.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
Is 52, 7-10
Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4, 5-6
He 1, 1-6
Jn 1, 1-18