Champ-blé

Il n’y a pas d’autre dieu que toi, vient de dire le livre de la Sagesse. Nous croyons en un seul Dieu, nous professons qu’il n’y en a qu’un. Pour des raisons pratiques, nous avons renoncé à proclamer le Credo dans sa version longue, le Symbole de Nicée, et nous l’avons remplacé par le Symbole des Apôtres, qui pose moins de problèmes de traduction. Il commence par les mots : « Je crois en Dieu. » Il ne faut pas pour autant oublier la petite précision de l’autre version : « Je crois en un Dieu, en un seul Dieu. » Le Dieu en qui nous croyons est un, unique. Un seul Dieu créateur de tout ce qui existe.

Notre profession de foi écarte ainsi une vieille hérésie qui a la vie dure, le manichéisme. Pour tenter d’expliquer l’existence du mal, certains ont en effet imaginé qu’il y avait, en face du bon Dieu, un Dieu du mal, auteur de tout ce qui ne va pas. Mais l’Église a repoussé cette hypothèse. Nous croyons en un seul Dieu créateur. Il est peut-être utile de le rappeler pour éviter les interprétations malencontreuses de l’évangile de ce jour, et c’est une bonne chose qu’on nous lise le livre de la Sagesse – Il n’y a pas d’autre Dieu que toi – avant de nous faire entendre l’explication de la parabole du bon grain et de l’ivraie.

De ce point de vue, l’évangile de l’autre dimanche était plus simple. Dans la parabole du semeur, il y avait un seul semeur et une seule semence, qui produisait plus ou moins de fruit selon l’endroit où elle tombait. Dans la première parabole d’aujourd’hui, il y a deux semeurs, un bon et un mauvais, celui qui sème du bon grain et celui qui sème de l’ivraie. Et l’explication de la parabole dit que l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. Mais il ne faut pas s’y méprendre : le Mauvais n’a pas de fils. Tous les êtres humains sont fils et filles du Dieu unique, créés par un Dieu qui n’est que bonté, et à ses yeux, même les vauriens valent encore quelque chose.

Le Mauvais lui-même, d’ailleurs, n’est pas absolument mauvais, il n’est pas un dieu du mal. Il est créé bon par un Dieu bon, même s’il s’obstine à mal faire, à se rendre mauvais. Il voudrait devenir l’égal de Dieu, un Dieu du mal en face du Dieu bon, ou peut-être à sa place. Mais il n’y arrivera jamais. Une vieille tradition l’appelle Lucifer, le porteur de lumière, et elle a raison. Comme toutes les créatures de Dieu, il a en lui cette étincelle de lumière que nul ne peut nous arracher. Nous pouvons la couvrir d’ordures, nous pouvons choisir de faire le mal, mais nous ne pourrons jamais être absolument mauvais. Personne. Pas même le diable. Alors, à plus forte raison, pas votre voisin, pas le repris de justice, pas le pire criminel…

Certes, il y aura au bout du compte un jugement, car tout ne se vaut pas. Il ne faudrait pas croire qu’il est indifférent de faire le bien ou le mal. Mais le jugement concernera moins les personnes que leurs actes. Ce sont des actes qui seront jetés dans la fournaise, pour que nous soyons débarrassés de tout ce qui nous ternit et que nous puissions resplendir comme le soleil dans le royaume de notre Père.

C’est pourquoi celui qui sème le bon grain empêche les serviteurs d’enlever l’ivraie : En enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Ne cherchez pas à séparer les justes de ceux qui font le mal, vous n’y voyez pas assez clair. Et ne risquez pas, dans le champ de votre propre cœur, de déterminer vous-mêmes ce qui est promis au feu éternel. Nul n’est bon juge dans sa propre cause. Je m’en occuperai le moment venu.

N’anticipons pas. Le jugement ne nous appartient pas. N’arrachez pas l’ivraie dans le champ du monde. Laissez faire les anges.

Lectures de la messe :
Sg 12, 13.16-19
Ps 85 (86), 5-6, 9ab.10, 15-16ab)
Rm 8, 26-27
Mt 13, 24-43

© 2024 - Monastère Saint-Remacle de Wavreumont

Nous suivre :  -