Il est traditionnel de comparer l’Église à un bateau. Le plus ancien témoin de cette tradition est la lettre d’Ignace d’Antioche à Polycarpe (2,3), au début du deuxième siècle. En sacrifiant à cet usage, nous pouvons lire notre récit comme une parabole de l’Église.

Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » L’Église est en effet cette barque qui, laissant la foule, passe sur l’autre rive, en terre étrangère et païenne. Cela se produit le même jour, le soir venu. Toute la journée, Jésus a enseigné la foule assemblée auprès de lui. Mais l’Église ne peut pas se contenter d’annoncer l’évangile à ceux qui viennent à elle. Elle a vocation de passer ensuite sur l’autre rive, de porter l’évangile à ceux qui ne se déplacent pas pour l’entendre. Elle est missionnaire ou elle n’est pas. L’Église n’est pas un but en elle-même. Elle est un moyen, un moyen de transport. Elle est le lieu où nous venons recevoir notre nourriture et reprendre des forces, mais nous n’y couchons pas. Le soir venu, il reste toujours à passer sur l’autre rive.

Ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque. L’Église est une barque où Jésus est emmené comme il est. Dieu y garde le droit d’être Dieu à sa guise, sans être obligé de correspondre à l’image que nous nous sommes faite de lui. Il se met à l’arrière, à la place de celui qui gouverne, mais c’est pour dormir sur le coussin. C’est là que se noue la foi. Ceux qui naviguent, de fait, savent que, malgré les apparences, c’est Dieu qui tient la barre. C’est lui qui conduit son Église, c’est lui aussi qui mène le monde : il ne tient pas seulement le gouvernail, il tient en main les profondeurs de la terre, et les sommets des montagnes sont à lui ; à lui la mer, c’est lui qui l’a faite, et les terres, car ses mains les ont pétries (Ps 94/95,4-5). Le vent et la mer lui obéissent. Pourtant, tout se passe comme si Dieu dormait. Quand la barque est secouée par les flots, nous pouvons être effrayés par son apparente indifférence. Nous aurions préféré un Dieu plus intervenant. C’est que si nous avons peine à lui faire confiance, lui n’hésite pas à mettre sa foi en nous.

Et d’autres barques l’accompagnaient. Voici que l’Église n’est plus une barque, mais plusieurs. C’est toute une flottille, et chacun rame selon son art. Nous rêvions peut-être d’une Église qui serait un fier bâtiment, dont l’Esprit gonflerait puissamment les voiles, dont l’équipage obéirait au doigt et à l’œil à un capitaine expérimenté et sûr de sa manœuvre. Mais l’Église est une multitude de petits bateaux qui font chacun ce qu’il peut, comme il le peut. Chacun peut croire qu’il navigue mieux que son voisin. Mais ce n’est pas une raison pour saborder sa barque. Au contraire, même si nous sommes convaincus d’avoir la meilleure théologie, les méthodes pastorales les plus efficaces, la spiritualité la mieux enracinée, les autres iront plus loin et plus vite avec nos encouragements qu’avec nos critiques.

Frère François

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