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Emmaüs (1992) par Janet Brooks-Gerloff
(artiste américaine, 1947 – 2008)

Il y a huit semaines, au début de notre carême, saint Matthieu nous a raconté les tentations que Jésus a subies avant de commencer sa mission parmi nous. Le diable l’a rejoint au désert, puis l’a conduit à Jérusalem et enfin sur une très haute montagne. Dans son évangile, saint Luc raconte les mêmes tentations, mais il en modifie l’ordre. Nous l’entendrons le 9 mars 2025, un peu de patience. Cela commence aussi au désert, cela se poursuit plus haut (Luc se garde bien de parler d’une montagne), et enfin à Jérusalem, au sommet du Temple, encore plus haut. Dès ce récit inaugural, Luc annonce ainsi l’orientation de tout son évangile : le chemin de Jésus sera toujours celui qui monte vers la ville sainte. On ne sera pas encore à la moitié du livre, à la fin du neuvième chapitre d’un ouvrage qui en compte vingt-quatre, que Jésus prendra déjà la route de Jérusalem. Si nous nous laissons entraîner dans ce mouvement de l’évangile, nous percevons bien que les deux disciples qui font route vers Emmaüs marchent à contresens. Si on les qualifie de disciples, c’est qu’ils avaient accompagné Jésus dans sa montée vers Jérusalem. Mais ce soir-là, ils redescendent, tout tristes, déçus. « Nous espérions. » Leur espérance est morte avec Jésus. Le chemin qu’ils empruntent épouse le mouvement de leurs illusions perdues.

Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Il descend avec eux, comme s’il renonçait lui aussi à la direction qu’il a suivie pendant toute son existence. Il les accompagne. Il les secoue sans doute un peu (« Esprits sans intelligence ! »), il tâche de les ouvrir à une autre lecture des événements, mais il ne cherche pas à modifier leur itinéraire, il ne leur propose pas de faire demi-tour. Et quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Pourquoi ?

À vrai dire, depuis qu’il est ressuscité, il fait toujours semblant quand il marche d’un endroit vers un autre. Il peut se déplacer autrement. Il est présent où il veut sans plus devoir se mettre en route, sans déverrouiller les portes, sans rouler la pierre des tombeaux. Il pourrait, comme il le fera tout à l’heure, se contenter de disparaître aux regards de ses compagnons. Mais il préfère continuer sa route, en apparence, faire semblant d’être en chemin, incognito.

Peut-être veut-il ainsi éviter de s’imposer. Les deux voyageurs ont déjà été bien aimables d’accepter qu’il vienne se joindre à eux pour la marche et qu’il se mêle de leur conversation. Peut-être veut-il leur laisser l’initiative de l’hospitalité.

Mais il y a plus. Au moment où les deux disciples cessent de s’éloigner de Jérusalem, font halte sur le chemin de leur déconvenue, Jésus fait semblant d’aller plus loin dans la mauvaise direction, pour leur signifier qu’il est prêt à les accompagner encore. Quand ils lui disent de rester avec eux, il pourrait leur répondre : « Il y a deux heures que je reste avec vous sur cette route qui démolit tout ce que j’ai voulu construire. Et si vous voulez aller plus loin dans cette voie, vous pouvez compter sur moi pour rester encore avec vous, le temps qu’il faudra. » Aujourd’hui encore, cette parole vaut pour tous ceux et celles qui s’égarent : Jésus ne les abandonne pas, il s’approche et marche avec nous, reste avec nous.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Ac 2, 14.22b-33
Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11
1 P 1, 17-21
Lc 24, 13-35

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