Je me souviens, sœurs et frères, d’un moment récréatif au cours d’une réunion d’A.S.B.L., durant lequel Madame T. nous partagea un souvenir de vacances. Elle revenait, en effet, de Suisse et de ses beaux paysages de montagne, où elle avait vécu un moment d’admiration, pour ne pas dire d’émerveillement, en regardant les vaches déambulant dans la prairie en face de son hôtel. Chaque jour, elle s’approchait davantage d’elles et se surprit même à leur parler …
Monsieur R, ancien boucher, l’interrompit en lui disant que, de son côté, en regardant une vache, il y voyait d’abord les tracés de découpe et les morceaux de viande qu’on pouvait en tirer. Différence des regards sur les êtres et les choses. Comme on trouve aujourd’hui, dans notre écoute de la Parole, différentes façons d’être berger.
Une façon juste, bonne et vraie pour le pasteur qui a une connaissance particulière de chaque brebis. Il leur donne à chacune un nom, les appelle par ce nom, connaît leur force et leur fragilité, y est attentif, et, si elles sont en danger, il risque sa vie pour elles.
Le mercenaire, quant à lui, ne tisse pas de liens; il est de passage et son but n’est pas le bien être des brebis, mais un salaire. Elles sont un moyen pour servir ses propres intérêts et elles ne méritent certainement pas de risquer sa vie.
Dans la première lecture, les Anciens s’interrogent sur l’acte de bienveillance posé par Pierre en faveur d’un infirme : » Vous n’êtes ni prêtre, ni rabbin, ni médecin… A quel titre faites-vous cela et pourquoi vous soucier de ce pauvre hère qui ne rentre dans aucune case ? Il ne rentre dans aucun protocole et vous n’avez aucun mandat pour vous en occuper. Mais la réponse de Pierre nous transporte dans une autre dimension : » C’est par le Nom de Jésus, le Nazaréen, lui que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité. »
Autrement dit : vous avez nié sa personne profonde, ignoré son Nom. Vous n’avez pas cherché à Le connaître en vérité. Vous l’avez vu comme un concurrent, quelqu’un qui dérange et vous dérange, plutôt que d’apprendre de lui quelle est cette connaissance en laquelle il nous invite à entrer. Ni gnose, ni savoir ésotérique, mais relation aimante. Par le don de sa vie, il met en œuvre son Nom et nous le donne en partage. Il nous fait porter son Nom qui nous rend participant à l’être de Dieu, il nous incorpore dans sa Famille.
Déjà, Dieu avait promis à Salomon qu’il déposerait dans son Temple son Nom, ses yeux et son cœur, entendez sa Présence. Dans le Nom de Dieu, nous sommes considérés et aimés, nous sortons de l’anonymat et nous comptons vraiment pour Lui. Et quand nous apprenons que Jésus est le Nom par excellence par lequel Dieu nous sauve, nous comprenons qu’il le fait en donnant librement sa vie et en la recevant dans la nouveauté de la Résurrection. La connaissance qu’il a du Père dans une relation d’amour, il nous y fait entrer dans l’expérience de l’Esprit, et nous réalisons que nous sommes bien plus que des brebis, que nous sommes enfants de Dieu, en devenir de ressemblance. Et ce don inestimable nous a été fait parce que le Pasteur s’est fait agneau immolé. Il s’est laissé transformer dans l’écoute du Père jusqu’à s’identifier à ceux qu’il chérit. Et nous brebis dispersées, il nous a établi veilleurs et gardiens de la Présence de Dieu en nos cœurs. Il nous divinise.
Nous avons commencé cette homélie par l’évocation de deux regards diamétralement opposés sur une créature, la parole nous fait prendre conscience aussi des différentes façons de regarder Jésus : Messie sauveur ou pierre à rejeter pour l’édifice qui nous occupe. Cette pluralité des regards où se joue la foi ou l’incrédulité est évoquée poétiquement par Elisabeth Barret Browning dans une allusion au buisson ardent : » Tous les buissons sont enflammés par Dieu, mais seuls ceux qui voient enlèvent leurs chaussures, les autres restent assis à cueillir des mûres. »
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Ac 4, 8-12
Ps 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29
1 Jn 3, 1-2
Jn 10, 11-18