C’est dimanche.
Deux hommes courent.
Deux Juifs.
Jusque-là, rien d’étonnant.
Leur religion leur interdit de beaucoup marcher le samedi.
Alors, le dimanche matin, ils ont tendance à courir.
En voilà donc deux qui courent.
À tombeau ouvert.
Parce qu’une femme, qui courait aussi, leur a dit que le tombeau est ouvert.
Un des deux hommes court moins vite que l’autre.
Parce qu’il a le cœur lourd.
Depuis jeudi soir.
Ou plutôt depuis vendredi matin, quand le coq a chanté.
Son cœur est lourd de son péché.
L’autre homme, celui qui a le cœur moins lourd, arrive au tombeau le premier.
Il voit le tombeau ouvert, vide, les linges bien rangés.
Il voit, mais il ne croit pas.
Celui qui a le cœur lourd finit par arriver aussi.
Il entre dans le tombeau.
L’autre revient.
Il voit encore.
Le tombeau ouvert, les linges bien rangés.
Il voit, mais cette fois, il croit.
Pourquoi ?
Qu’y a-t-il de différent entre la première et la deuxième visite ?
La seule différence, c’est que le tombeau n’est plus vide.
Il y a là un homme, celui qui avait le cœur lourd.
On lit sur son visage qu’il a le cœur léger.
Son péché n’a plus de poids.
Le coq peut chanter tant qu’il veut.
Nous pouvons dire et oublier notre péché.
Christ est ressuscité.
La mort de Jésus nous a sauvés de la mort et du péché. C’est du moins ce qu’on nous a dit et ce que nous avons cru. Je crois que nous avons raison de le croire, mais je ne voudrais pas me contenter d’une formule apprise. Que signifie-t-elle ? En quoi la mort du Christ apporte-t-elle le salut ? De quoi la mort de Jésus nous sauve-t-elle ? De quoi avons-nous besoin d’être délivrés ? Les réponses à ces questions remplissent des livres nombreux, des bibliothèques entières. Peut-on risquer de les résumer dans une homélie de quelques minutes ? Une feuille de papier A4, recto, pas une ligne de plus ? On ne perd rien à essayer.
Dieu nous crée pour le bonheur, pour que nous vivions en communion avec lui, pour que nous trouvions notre place au cœur de l’amour trinitaire. Nous sommes créés pour le bonheur, mais ce bonheur est tenu en échec par deux obstacles, la mort et le péché. La mort, parce qu’elle met un terme inexorable à notre possibilité de vivre pour toujours avec l’Éternel. Et le péché, c’est-à-dire tout ce qui nous sépare de Dieu, ce qui brise la communion, ce qui nous empêche d’être pleinement humains et donc, à plus forte raison, de devenir Dieu.
Pour nous délivrer du péché, Dieu se fait homme. Radicalement. Il ne se contente pas de prendre une apparence humaine, de se déguiser en homme, de jouer à l’homme. Il devient un homme, un être humain, comme vous et moi. Il y a donc eu sur la terre, parmi les hommes, un homme qui était pleinement homme, tout à fait comme les autres, et qui n’a pas péché, défiant toutes les lois statistiques. Cet homme nous sauve du péché par toute sa vie, parce qu’il met sous nos yeux une vie d’homme qui n’est pas tenue en échec par le péché. Une vie pleinement humaine où rien ne fait obstacle à la communion avec Dieu. Une vie qui proclame que le péché n’est pas une fatalité. Une vie qui nous ouvre une voie de justice et de vérité. Une vie qui nous montre qu’il est possible de partager la vie de Dieu. Cette façon de vivre ne plaît pas à tout le monde et on finit par supprimer Jésus. Mais Dieu prend parti pour lui, pour sa façon de vivre, et il le manifeste en le ressuscitant. C’est le cœur de la première prédication apostolique. Pas seulement : Dieu a ressuscité un mort. Mais : celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Vous avez voulu le réduire au silence au nom de votre Dieu, mais Dieu ne laisse pas triompher votre méprise.
Par la résurrection de Jésus, Dieu lève en même temps le second obstacle qui nous empêchait de vivre avec lui : il remporte la victoire sur la mort. Il ne supprime pas la mort, mais il lui ôte son caractère définitif. Il nous faut encore mourir, comme le Christ, mais si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons (2Tm 2, 11).
Pourquoi disons-nous que c’est la mort de Jésus qui nous sauve de la mort et du péché ? Tout ce que je viens de rappeler montre que nous sommes sauvés du péché par la vie de Jésus et de la mort par sa résurrection. Mais sa mort est le lieu où se nouent les deux œuvres de salut, c’est le point crucial de notre libération – et j’aime penser que le mot crucial vient du mot croix. D’un côté, la vie de Jésus qui, tout entière, nous délivre du péché, culmine dans le don qu’il fait de lui-même en allant jusqu’au bout de sa fidélité, en refusant de se dérober devant la perspective de sa crucifixion. Sa mort en croix est le sommet de l’existence de celui qui, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout (Jn 13,1). De l’autre côté, c’est parce que Jésus assume sa condition humaine jusqu’à la mort que son Père peut le ressusciter et nous ouvrir le chemin de la vie éternelle. Comme le répète la liturgie orientale de Pâques : « Le Christ est ressuscité des morts. Par sa mort, il a vaincu la mort. Et à ceux qui étaient dans les tombeaux, il a donné la vie. »
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
Ac 10, 34a.37-43
Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23
Col 3, 1-4
Jn 20, 1-9