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« Faites ceci en mémoire de moi ». Ces paroles de Jésus, les chrétiens depuis les débuts, les ont bien intégrées et en ont fait une liturgie : la messe ou l’eucharistie. Cette liturgie a pris bien des formes : la réunion des chrétiens dans une maison, une messe du Pape sur la place saint-Pierre noire de monde, l’eucharistie dans la chapelle de Wavreumont … voilà bien des formes différentes.

Par ces mots, Jésus n’invite pas à reproduire la fin de sa vie, son sacrifice comme nous disons parfois. Il appelle à prendre sa suite, à engager notre vie comme il a engagé la sienne. Cela veut dire transmettre la bonne nouvelle, relancer l’Évangile. Qu’est-ce-à dire ? Sur l’eucharistie, on peut dire bien des choses et longuement. Je vais m’en tenir à mettre en lumière quelques points.

D’abord, nous disons que les paroles de Jésus « Faites ceci en mémoire de moi » sont un récit, le récit de l’institution. Mais ce micro-récit s’inscrit lui-même dans l’ensemble du récit évangélique, toute une narration qui, si on la lit bien, vient déranger l’ordre des choses. Il est bon de nous rappeler que l’Évangile ne s’accommode pas purement et simplement des récits qui circulent dans nos sociétés, dans la publicité, la consommation, les films, la littérature. Il propose d’inventer d’autres histoires, de raconter l’histoire autrement. En tant que mémoire du Christ, on peut dire aussi que l’Évangile est une manière de lutter contre l’oubli, l’oubli des crucifiés dans le monde. Et ces crucifiés ne sont pas uniquement les gens arrêtés, emprisonnés ou que l’on fait disparaître, ce sont les personnes privées d’eau potable du fait de nos modes de vie. Faire mémoire de la vie livrée de Jésus, c’est donc dire la résistance de Dieu, son désir que la mort ne soit pas le dernier mot de l’Histoire et de nos histoires.

Un deuxième point est celui-ci : Jésus dit « Faites ceci mémoire de moi » au cours d’un repas, dans un repas. Par-là, l’accent est mis sur la communion contre l’exclusion et la discrimination. Rappelons-nous l’importance donnée aux repas de Jésus au long du récit évangélique et qui sont l’objet de critique : « le voilà qui mange avec les publicains et les pécheurs », dit-on de lui. L’accent est mis aussi sur le partage, à l’écart d’une logique individualiste. C’est le pain rompu pour être partagé. C’est l’hospitalité. Cherchez, nous dit-il à lever les exclusions et les discriminations, cherchez à ne pas vous arranger des murs et des barrières mais que la vie plus forte que la mort vous inspire. Je suis là où le pain est rompu pour être partagé.

Un troisième point peut être mis en lumière. Jésus dit ces paroles dans ce repas-là qui est un repas d’adieu, un moment poignant de séparation, une déchirure. Dans ce repas-là, Jésus lave les pieds de ses disciples. Il dit que là est la vie plus forte que la mort parce qu’elle est passée au-delà de ce qui met à mort, du mortifère, du morbide.

De quoi donc faut-il faire mémoire en fin de compte ? De Dieu ? Un Dieu quelconque ? Mais au nom de Dieu, que de désastres ont été perpétrés : l’Inquisition, les croisades, le terrorisme et peut-être maintenant la grande Russie. Faut-il faire mémoire des valeurs chrétiennes ? Les fascismes ont volontiers ces mots à la bouche. De son côté, Jésus a pris du pain, il a pris la coupe et les a partagés. Ces mots, ces gestes nous sont confiés non comme un sacré à défendre mais comme une présence qui nous est donnée et dont il nous faut encore prendre soin.

Fr. Hubert Thomas

Lectures de la messe :
Gn 14, 18-20
Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4
1 Co 11, 23-26
Lc 9, 11b-17

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