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Depuis hier, le temps de l’Avent s’accélère et nous oriente désormais de façon décisive vers la nuit sainte où le ciel va se déchirer, et où le monde, mystérieusement, va se renouveler. Le moment s’approche où la lumière cesse de diminuer et recommence à croître, discrètement, insensiblement, silencieusement sans doute, mais réellement et résolument.

Aujourd’hui, les lectures nous appellent à contempler un des plus beaux noms bibliques, celui qui de la façon la plus émouvante vient nous redire la proximité de notre Dieu, ce Dieu qui vient prendre nos chemins, qui vient marcher avec nous, chez nous et nous ouvre ses mains amicales : « Emmanuel » ! C’est le passage célèbre qui nous raconte comment le prophète Isaïe interpelle le roi Achaz et lui ordonne de demander un signe.

Mais en regardant d’un peu plus près le texte hébreu d’origine, je me suis aperçu qu’il ne dit pas vraiment : « Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu, au fond du séjour des morts » Et donc, je vous propose de lire plutôt, à la suite du grand commentateur juif Rachi : « Va en profondeur et demande », ou encore : « Va au plus profond de la question ». Rejoins le lieu intime de toimême d’où surgit la question, ne te contente pas d’une approche superficielle, rejoins cette partie mystérieuse où la Présence divine te donne à toimême. Touche, étreins même l’Etincelle divine qui porte en toi la question, la requête insistante qu’elle te fait : « demandemoi un signe qui te permettra de donner à la situation critique que tu dois affronter, la juste réponse, celle qui va audelà de tes calculs politiques, de tes systèmes de défense à court terme et de tes sécurités illusoires. Fais
confiance en la vie, fais confiance à la source de la vie ! »

Tu n’as pas besoin d’une réponse circonstancielle, d’une rationalité qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, qui n’a pour horizon que ses petits calculs. Engagetoi dans une réponse inédite, risquée et folle peutêtre, regagne le lieu du divin en toi, cette fine pointe au cœur de ton être, qui remet tout dans sa véritable orientation, qui met tout à l’endroit ! Cette Présence qui fait signe, qui nous met en marche, ce socle d’éternité qui seul peut conduire au vrai discernement, qui donne sens au temps, qui ouvre à des solutions stables et authentiques, réellement porteuses de vie, pas d’une sorte de durabilité à bon marché, enfin !

Ne mets pas les choses à l’envers, va au fond de la question, rejoins ton âme, là où notre Dieu
aime habiter, là où c’est lui qui amoureusement te questionne, et bien plus : là où il désire vivre en toi, advenir en toi, te faisant porteur de sa divine Présence, de son Alliance toujours nouvelle, là où tu le mets au monde aujourd’hui. Il n’est pas la solution de nos problèmes, il ne nous dit pas « Demandemoi une solution. » Il nous prie : « Demandemoi un signe. » En d’autres termes : « croistu en moi, pensestu que je peux être la source à partir de laquelle il y a moyen de tout remettre dans l’ordre de la vie ? »


Mais quelle vie
? Mais celle d’un Dieu qui nous fait confiance et qui trouve sa joie à déposer au cœur de notre existence une goutte de sa lumière et de son éternité, parce qu’à ses yeux, chacun a un prix infini, ou mieux, chacun est sans prix. Ainsi, en mettant au monde ce Dieulà, nous le laissons nous mettre au monde dans notre vérité ultime, nous le laissons nous dire son désir, son amour sans condition, parce que c’est Lui, parce que c’est nous… Au plus profond de la question, nous découvrons que nous sommes le fruit d’un désir qui n’a pas de mesure. C’est cela, le mystère de l’incarnation.

Alors, Emmanuel, ce vieux nom hébreu, que vientil nous dire ? Simplement qu’il y a, à nos côtés, un compagnon de route qui nous chérit et nous redit : « Je suis avec toi pour toujours, jusqu’à la fin du monde »… Et, laissezmoi ajouter : avec toi, certainement, mais également, pas sans toi. Découvrir cela, c’est consentir à entrer dans la logique de ce que Thomas Kelly, un protestant du siècle dernier, appelait l’Eternel Présent, capable de renverser véritablement toutes nos valeurs. « Le temps ne saurait être juge de l’Eternité, écritil, c’est ce qui est éternel qui met le temps à l’épreuve et le juge… On n’oppose pas temporel et éternel, mais on place la suprême valeur et l’explication finale dans l’Eternité, source créatrice du temps lui-même… Le monde du temps n’est pas l’unique réalité dont nous soyons conscients.

Une autre Réalité se laisse entrevoir, elle frémit et s’agite, elle nous ébranle et cherche à nous éveiller, elle nous envahit enfin et, dans son amour, elle nous embrasse — avec toutes choses — en Elle-même.1 »

Et encore : «
Faire l’expérience de la Présence, c’est faire celle de la paix, faire l’expérience de la paix, c’est faire celle — non de l’inaction — mais de la puissance, et faire l’expérience de la puissance, c’est faire celle de l’amour, qui aime sans se lasser jusqu’à ce qu’il remporte la victoire. Celui qui connaît la Présence connaît la paix, et celui qui connaît la paix connaît la puissance, et il croit avec une foi absolue que cette Puissance d’Amour objective, qui s’est emparée de lui, vaincra le monde.2 » Même si, poursuit-il, nous nous trouvons dans un monde où les chances de succès semblent… bien aléatoires.

Mais cette incertitude ne doit pas nous empêcher de nous mettre en route. « Le Seigneur a mis dans ma bouche un cantique nouveau3 », dit un psaume.

Mes amis, laissons notre Dieu chanter en nous son chant pour que naisse enfin ce monde nouveau, ce monde de paix dont Noël reste un des plus beaux symboles.

Fr. Etienne Demoulin

Lectures de la messe :
Is 2, 1-5
Ps 121 (122), 1-2, 3-4ab, 4cd-5, 6-7, 8-9
Rm 13, 11-14a
Mt 24, 37-44

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