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En guise de psaume, nous avons chanté quelques strophes du Magnificat, qui peut être
une belle introduction à la fête de Noël. Le missel a choisi les versets en nous épargnant le
plus rude :  » Déployant la force de son bras, il disperse les superbes, il renverse les puissants
de leurs trônes, il élève les humbles.  » Le chant de Marie est le chant d’une humble servante,
mais l’humble servante est bien plus que Marie. L’humble servante, c’est la nation juive
humiliée sous l’occupation, et le chant de Marie est l’hymne révolutionnaire d’une enfant qui
souffre de voir son village traversé par les troupes romaines. L’humble servante, c’est la race
des pauvres et des affamés, et le chant de Marie est l’hymne du quart-monde. L’humble
servante, c’est la femme de tous les âges, humiliée par l’orgueil de l’homme, et le chant de
Marie est le chant de toutes les femmes, peut-être surtout des femmes qui n’ont pas choisi de
ne pas être vierges et qui ont été livrées dès leur plus tendre adolescence au plaisir des
hommes. L’humble servante, c’est l’humanité tout entière, humiliée par la souffrance et par la
mort, et le chant de Marie est l’hymne de la création qui relève la tête. Si tel est le chant de
Marie, il nous dit le sens de Noël dans toute son ampleur.
Il y a dix-huit ans, j’ai demandé à frère Claude, qui était alors responsable de la
décoration, d’ajouter à notre couronne d’avent, pour l’eucharistie du 22 décembre, une pietà.
C’était une miniature de la célèbre pietà de Michel-Ange : la Vierge tenant sur les genoux le
corps sans vie de son Fils.
Comme les accents guerriers du Magnificat viennent de nous le rappeler, Noël est la
riposte de Dieu à la souffrance humaine. Dieu se compromet dans notre histoire parce qu’il
n’en peut plus de voir l’oppression des humbles et des affamés. C’est bien ce que nous lui
disions, avant la réforme du missel, dans la belle oraison du 22 décembre : « Tu n’as pas
supporté, Seigneur, que l’homme soit abandonné à la mort. » Noël, c’est Dieu qui ne supporte
plus de souffrir de ce qui nous blesse.
Autrement dit, dans la chronologie du cœur de Dieu, le vendredi saint précède Noël,
la Passion précède l’Incarnation. Comme dit Origène : « D’abord il a souffert, puis il est
descendu. » Dieu n’a pas souffert parce qu’il s’est rendu vulnérable en se faisant homme, il
s’est fait homme parce qu’il souffrait, et c’est de notre souffrance qu’il souffrait.
À leur manière, les personnages de la crèche seront des témoins de cette passion de
Dieu qui le conduira au Calvaire. L’âne est un ancêtre de celui qui amènera Jésus à la ville
sainte, car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem (Lc 13, 33). Le bœuf
est un grand-oncle de ceux que Jésus chassera du temple à coups de fouet, signant son arrêt
de mort (Jn 2, 15). Les bergers apportent leurs moutons comme ils les conduiront au temple la
veille de la Pâque, pour qu’on les égorge sans leur briser aucun os (cf. Jn 19, 36). La myrrhe
des mages sera mêlée au vin anesthésiant que Jésus refusera de boire (Mc 15, 23) et à l’aloès
que Nicodème offrira pour sa sépulture (Jn 19, 39). Joseph laissera son nom à un homme
d’Arimathie, lui aussi bon et juste (Lc 23, 50), qui trouvera dans le courage de son Dieu
l’audace de sortir de l’ombre. Et Marie recevant à Bethléem le corps de Dieu sur ses bras de
mère, c’est déjà une pietà.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Is 61, 1-2a.10-11
Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54
1 Th 5, 16-24
Jn 1, 6-8.19-28

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