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L’extrait du livre de Jérémie que nous avons entendu ce matin[1], est un de ces beaux textes bibliques qui me questionnent et qui m’enchantent.  C’est à lui que je vais m’attacher ce matin, pour vous confier les quelques réflexions qu’il me suggère aujourd’hui.  Je ne prétends pas en épuiser le sens, cela va de soi.  Simplement, quelques mots qui le jalonnent et le structurent, attirent mon attention :  détaillons-les quelque peu.

Mais au préalable, il est bon de constater que notre texte ne nous dit pas que c’est plus tard, dans l’avenir, que des jours viendront.  Il nous affirme que le travail se fait déjà maintenant.  « Des jours sont en train de venir », c’est à dire : au moment où nous lisons ces mots, et même, chaque fois que nous les parcourons et que nous nous laissons travailler par eux, quelque chose vient.  Une porte s’ouvre, non pas demain ni dans quinze jours :  le temps présent est celui de la venue de Celui qui nous offre son alliance. Le temps présent est celui de l’arrivée du Bien-aimé qui s’approche et entre dans son jardin, selon les mots du Cantique des Cantiques.  C’est le temps de Dieu, comme l’exprime la poésie que Johann-Sebastian Bach met en musique dans une de ses plus belles cantates[2].  C’est l’irruption d’un morceau d’éternité qui ébranle et transfigure notre chronologie routinière.

Alors, il est question d’alliance.  En français, ce mot évoque le lien que l’on peut nouer entre deux personnes, entre deux institutions ou même entre deux pays.  Souvent, l’alliance se conclut par un contrat ou par un traité.  L’histoire nous en a conservé beaucoup, que les archéologues ont découverts lors de leurs fouilles, depuis l’époque où l’écriture a été inventée. Ces vieilles archives exposent les termes de l’accord que l’on va signer, et précisent quelles conditions garantissent son bon fonctionnement.

En hébreu, le mot « alliance » prend une autre signification.  Curieusement, il évoque à première lecture l’idée de création.  En effet, c’est sur la racine verbale « créer » que ce terme est fabriqué.  Il ne nous parle pas d’abord d’un contrat, mais d’un projet à élaborer ensemble.  Cela nous ramène aux premières lignes de la Genèse, le premier des livres de la Bible.  Nous en revenons au moment où notre monde surgit d’entre les mains de la Présence divine qui le façonne et le structure afin que l’homme puisse y trouver son espace pour exister.  Créer, dans la sensibilité biblique, c’est aussi couper, c’est mettre en ordre, c’est donner un visage, c’est humaniser le cosmos, c’est l’ouvrir enfin pour que son histoire ne soit pas limitée à ses déterminismes.  C’est proclamer que le monde est encore à faire, qu’il ne se réduit pas à ce qu’on en voit ni à ce qu’on pense.  C’est dire que la vie ne cesse d’advenir, qu’elle n’est pas figée, emprisonnée dans le moment présent.  Nous avons toujours à devenir qui nous sommes. C’est dans ce que nous inventons que nous nous découvrons. En ce sens, toute alliance, dans la Bible, est une proposition créatrice.

Et maintenant, le deuxième mot sur lequel je souhaite m’arrêter :  L’alliance, nous dit Jérémie, est nouvelle.  Comment comprendre cela ?

Tout d’abord, la nouveauté ne signifie pas que l’alliance précédente -celle que Dieu a conclue avec nos pères, comme le dit encore Jérémie- n’a plus cours. La nouvelle alliance n’annule pas l’ancienne, mais la prolonge.  La nouvelle alliance donne à l’ancienne une autre dimension.  En effet, le mot « nouveauté » ne désigne pas un état –qui succéderait à une situation passée, désormais achevée-, mais un mouvement, une dynamique qui fait redémarrer l’ancien, qui lui donne une nouvelle perspective et qui, finalement, en révèle les potentialités.

De quoi s’agit-il, alors ?  Jérémie nous l’explique :  Ce qui fait difficulté n’est pas l’alliance que Dieu offre à son peuple, mais la manière dont celui-ci la reçoit.  Le vocabulaire que notre prophète utilise suggère deux choses, qui sont d’ailleurs liées.  Tout d’abord, le projet que Dieu présente aux siens, les invitant à le construire avec lui, leur reste totalement extérieur.  Ils n’y rentrent pas.  Ils ne sauraient donc réellement y adhérer :  Ils ne peuvent que le subir, et par conséquent (c’est le deuxième aspect du problème) ils ne peuvent que s’y soumettre.  Le Dieu de l’alliance ne serait-il donc pas ce tout Autre qui appelle et met debout ?  Ceux à qui Jérémie s’adresse, ont fait du Dieu vivant un étranger qui s’impose et qui écrase : une idole.

Alors, la nouveauté ?  Eh bien, c’est le chemin du cœur.  C’est l’accueil confiant d’une Parole qui fait vivre et qui, littéralement, transfigure le cœur.   c’est une rencontre lumineuse qui bouleverse et qui transforme.  C’est l’avènement d’un homme nouveau, qui laisse le vieil homme peu à peu s’effacer et disparaître.  C’est le désir de laisser notre Dieu nous engendrer comme son fils, comme le sujet d’une relation et d’une rencontre authentiques, et non plus comme l’objet passif livré à l’arbitraire d’une instance dictatoriale soi-disant divine.

Pour le dire autrement, cette alliance tout intérieure qu’un Dieu amoureux de son peuple, vient lui proposer, n’est pas autre chose que le retour de chacun à sa source.  C’est le travail par lequel on vient enlever la poussière et les pierres qui empêchent l’eau vive de couler librement et d’irriguer les terres arides.  Une confiance se construit et donne l’audace inattendue d’arracher les vieilles défenses, d’ouvrir les portes verrouillées depuis si longtemps parfois, et de se livrer, naïf et vulnérable, à la Présence vivifiante d’un Dieu d’appel, non de dressage.  On se débarrasse des images qu’on s’est inventé, de soi-même comme de Dieu..  On se débarrasse aussi de toute recherche artificielle d’originalité, de toute quête de mise en valeur illusoire.  On laisse venir à la lumière, dans toute sa simplicité, presque dans sa nudité, l’être unique qu’on est, toujours neuf, le « Je » qui échappe à toute définition, dans lequel le « Tu » divin trouve la plénitude de sa joie.

Je voudrais terminer ces quelques réflexions en vous racontant une petite histoire juive.  Oh, beaucoup d’entre vous la connaissent, mais elle est si jolie qu je ne résiste pas à la tentation de vous l’exposer encore une fois.  C’est l’histoire d’un vieux rabbin, qui s’appelait Zousia et qui, au moment de mourir, dit ceci à ses disciples réunis autour de son lit :  « Quand je me trouverai devant l’Eternel notre Dieu, il ne me demandera pas :  Pourquoi n’a tu pas été un autre Moïse, ou un autre David, ou un autre Jérémie ?…  Il viendra tout près :  Alors, Zousia, as-tu été Zousia ? »  La question est pleine de sel, parce que, s’il y a eu dans l’histoire du judaïsme un personnage particulièrement original, c’était sûrement lui !

[1] Jérémie 31, 30(31)-33(34)

[2] Johann-Sebastian Bach.  Cantata Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit “Actus tragicus”.  BWV 106

Fr. Etienne Demoulin

Lectures de la messe :
Jr 31, 31-34
Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 14-15
He 5, 7-9
Jn 12, 20-33

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