Dans un bloc-notes récent, Frédéric Boyer, écrivain et chroniqueur au journal « La Croix », racontait que deux amies, l’une israélienne et l’autre palestinienne, rencontrées à quelques jours d’intervalle, lui avaient posé la même question angoissée : Que pouvons-nous encore espérer ?

Question qui, hélas, retentit depuis l’aube des temps et revêt à certaines époques ou dans des circonstances particulières une dimension existentielle dramatique.

Frédéric Boyer avait répondu à ses deux amies qu’il ne savait pas ce qu’on pouvait espérer, mais que « nous avions le choix entre vivre en renonçant à tout avenir, ou vivre en espérant envers et contre tout. »1

Les textes de ce jour peuvent-ils nous éclairer ? Et, d’abord, la première lecture tirée du livre d’Ezéchiel ? Pour comprendre la portée de ce texte, il faut aller en amont du livre. On y lit de nombreux oracles du Seigneur portant sur les infidélités d’Israël et la ruine probable de Jérusalem, l’épouse compromise. Nous sommes sans doute entre 597 et 587 avant Jésus-Christ, le prophète vit avec les premiers déportés au bord de l’énigmatique fleuve Kebar, sans doute dans la région de Babylone. Tout semble perdu.

A la fin du chapitre 16, le Seigneur surprend à vouloir rétablir l’alliance avec le peuple pécheur. Au chapitre 17, il suscite l’espérance des déportés grâce à une parabole qui se termine par l’extrait lu ce matin. Une jeune pousse cueillie par Adonaï lui-même sur la cime d’un grand cèdre du Liban va produire un arbre magnifique, où toutes sortes d’oiseaux trouveront un abri et chanteront sa gloire. « Tous les arbres des champs sauront que je suis le Seigneur qui fais sécher l’arbre vert et fleurir l’arbre sec! Je suis le Seigneur, j’ai parlé et je le ferai. »
D’une superbe poésie, ces paroles résistent pourtant à nos conceptions d’aujourd’hui. Nous ne pouvons plus croire en un Dieu tout-puissant qui fait ce qu’il veut, comme il veut. N’est-Il pas lié par la liberté qu’Il a confiée aux hommes et par l’autonomie des lois de l’univers ?

Cela veut-il dire que ces textes n’ont plus de signification pour nous et que Dieu est absent du monde ? Non : voyez cette page d’Ezéchiel, dont le nom signifie « force de Dieu » ou « Dieu donne sa force ». A travers cette parabole, elle nous révèle la force du prophète, une force puisée dans l’expérience qu’il fit de Dieu et qui est suggérée au début du livre par ces mots : « la main d’Adonaï fut sur lui ». Déporté lui-même, il fait découvrir aux siens que le Seigneur peut être présent ailleurs que dans le Temple de Jérusalem, qu’il peut être avec eux dans leur situation d’exilés, qu’il peut transformer leur désespoir en espérance.

Ezéchiel ne sait pas à quel avenir est promis Israël, quelle forme sa restauration va prendre. Il ne peut le dire, mais il ouvre une brèche dans ce qui apparaissait comme une impasse et cela change tout : si les perspectives ne se dessinent pas encore, l’horizon n’est plus bouché. N’est-ce pas là que se trouverait la puissance de Dieu, dans ces interstices où se glisse la petite lumière de l’espérance qui fait rebondir, bouger, persévérer?

L’Evangile appelle aussi à l’espérance. Marc s’adresse à des chrétiens désemparés qui se trouvent soumis à la persécution. Dans ce monde troublé, que deviennent les promesses du Christ ? Les paraboles revêtent pour eux un sens tout particulièrement encourageant. C’est à partir d’un tout petit rien, une semence, une graine de moutarde, semée par n’importe qui, que Dieu peut faire du grand. La semence est porteuse d’une invincible puissance. Belles paraboles de la collaboration entre Dieu et l’être humain. Celui-ci doit tout faire pour que la graine donne le meilleur fruit et la semence d’Evangile une belle part du Royaume en construction, mais la fécondité ne lui appartient pas.

Il nous faut vivre, humbles et confiants, en cheminant « dans la foi et non la claire-vision », comme dit Paul dans l’épître aux Corinthiens, entre le « déjà-là », la semence jetée dans le sol, et le « pas encore-là », la fructification et la récolte, espérées, mais potentiellement soumises aux intempéries, une maladie ou un dommage animal. La confiance dans la puissance interne de la semence et de la fertilité du terrain ne dispense pas de la vigilance.

On a pu reprocher au christianisme de promouvoir une espérance synonyme de résignation et d’attente passive de temps meilleurs. C’est se tromper sur la nature de l’espérance chrétienne. Si elle est eschatologique, orientée vers l’accomplissement final de l’homme en Dieu, elle engage déjà ici et maintenant. Elle agit comme un levier, elle porte à l’action. Le temps du Royaume ne nous appartient as ; en revanche, il nous revient de tout faire pour le construire.

Malheureusement, il arrive, pour des raisons de santé ou des circonstances de vie éprouvantes, que le ressort de la vie soit cassé et l’espérance à bout de souffle. C’est là que la chaîne de la fraternité doit plus que jamais se resserrer dans l’empathie avec celui qui souffre. Et, l’aiguillon de notre propre espérance chevillée à l’amour, nous ne pouvons que remettre la personne en souffrance entre les mains de Dieu. Notre prière est alors comme une semence plantée dans la terre de Dieu…

[1] La Croix, L’Hebdo, n° 232, semaine du 10 mai 2024, p.23

Marie-Pierre Polis

Lectures de la messe :

Ez 17, 22-24 ;
Ps 91 (2-3,13-14,15-16) ;
2Co 5, 6-10 ;
Mc 4, 26-34

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