Le temps de Noël s’est achevé.
Temps de naissance, temps de nouveauté. Temps d’espoir et temps de promesse. Temps où on cesse enfin de considérer les êtres humains comme des « ressources » ! Temps d’utopie aussi, semble-t-il, en ces jours où de si nombreux lieux du monde connaissent guerre, corruption, famine, oppression et exploitation, où de si nombreuses personnes ont soif ne fut-ce que d’un peu d’humanité.
Noël, c’est aussi cela : le rêve d’une nouvelle histoire. Rêve révolutionnaire s’il en est ; enfantillages, diront certains ! Mais le Dieu de la Bible, précisément, prend très au sérieux les enfants. Et même les plus petits, les bébés par exemple, comme on le constate déjà dans le psaume 8, qui s’émerveille de la force d’audace dont sont porteurs les nourrissons –force vitale dans sa pureté, pourrait-on dire. On retrouve cette admiration du psalmiste dans un autre poème, le psaume 109, qui chante la gloire du roi-messie. Mais il ne s’intéresse pas aux actions prestigieuses d’une quelconque politique royale. Non, il regarde avec émotion quelque chose de beaucoup plus important et qu’il exprime au moyen d’une image poétique des plus suggestives : la rosée de son enfance, qu’il appelle aussi : matrice d’aurore. Le messie, c’est celui qui inscrit au cœur des événements qui secouent ce monde, la fidélité à la rosée de son enfance, et qui fait naître une nouvelle aurore. Nous qui sommes disciples de Jésus, le messie qui ouvre l’histoire à son sens plénier et dont nous venons de célébrer la naissance, aimerons-nous savourer à notre tour la rosée de son enfance ? J’ai une question un peu impertinente, que je ne résiste pas à nous adresser : Ça a quel goût, la rosée de son enfance ?…
Bon, redevenons sérieux, et entrons dans cette nouvelle étape de l’année liturgique qu’on appelle « le temps ordinaire ». Fini de rire, les vacances sont terminées. Mais ce qui vient n’est pas, pour notre Dieu, le temps du train-train et de la banalité des habitudes quotidiennes. Les lectures qui nous sont proposées aujourd’hui mettent en relief un tout autre aspect des choses : le temps ordinaire, c’est le temps de l’appel. Mais oui !
L’appel : c’est quelque chose qui affleure dans tous les textes de la Bible, depuis l’Ancien jusqu’au Nouveau Testament, depuis les premières jusqu’aux dernières lignes du texte. Le Dieu de l’Alliance, ce Dieu qui sous bien des formes et de bien des manières s’approche et trouve sa joie à demeurer au milieu de nous, se risque à nous inviter. Il nous met dans le coup : Entrerons-nous avec lui dans le projet d’une histoire neuve ? Nos rêves ont leur place dans le cœur de notre Dieu. Le monde inédit qui reste encore à créer, ne peut pas se réaliser sans nous, semble-t-il. Autrement dit, notre inventivité est précieuse aux yeux de ce Dieu-là qui, bizarrement, continue de nous faire confiance. Il est un peu fou, dirait-on, ou du moins, pas très raisonnable, ne trouvez-vous pas ? En tout cas, c’est ce que je découvre en lui, et vraiment, je trouve cela passionnant et j’en suis amoureux.
Mais avant d’être un Dieu qui envoie en mission, avant d’être un Dieu qui organise un projet, ou encore, qui fixe des objectifs -pour reprendre une expression dont raffole la culture managériale que personnellement je déteste-, notre Dieu se présente comme celui qui appelle. Il se révèle comme celui qui désire une rencontre. Le plus important n’est pas le chemin que nous pouvons programmer ni la tour que nous pouvons construire. Ce qui compte, c’est que nous soyons ensemble. C’est comme s’il nous disait : « Quel plaisir ai-je à me promener si tu n’est pas là ? » C’est ce qui le mettait en colère lorsque les hommes ont entrepris l’édification de la tour de Babel. Car pour eux, si quelqu’un tombait, le plus important, c’était que les briques qu’il transportait soient toujours en bon état. Le reste ne comptait pas. Qu’il se soit fait mal, on s’en fiche. Pour les hommes de Babel, la vie humaine ne valait pas le prix d’une caisse de briques1.
Alors, au cœur de l’appel, il y a la rencontre, le face à face où nous apprenons à nous connaître. Il y a un « Je » et un « Tu » qui se révèlent mutuellement l’un à l’autre, il y a la promesse d’un amour à mettre au monde. Car, pour un commentateur juif, connaître, c’est donner son cœur et ne pas se cacher les yeux2. C’est mettre son cœur, son intimité, entre les mains de l’autre et disposer ses yeux pour éprouver ce qui le touche, pour s’éveiller à son altérité et pour repérer l’étincelle divine qu’abrite son être. C’est d’ailleurs ce que nous voyons dans l’évangile de ce jour : Derrière Simon, Jésus a vu Pierre.
Appeler, c’est dire « Tu ». C’est nommer, c’est-à-dire, créer un lien avec quelqu’un, ne pas rester dans l’indifférencié. En d’autres termes, c’est reconnaître la singularité, l’originalité, le caractère unique, irremplaçable de la personne qui est ainsi conviée. Selon les rabbins, c’est pour cela que Dieu nomme deux fois « Samuel ». Une fois aurait suffi, d’un point de vue strictement pratique. Mais en s’approchant de l’enfant et en disant doucement à son oreille : « Samuel, Samuel », Dieu lui dit qu’il l’aime et non pas seulement qu’il a besoin de lui. Et il lui précise aussi qu’il accueille tout de lui, et pas seulement sa carte d’identité. Il y a le Samuel qu’on voit, mais il y a l’autre, le Samuel invisible et pourtant si réel, lui aussi, avec ses obscurités et ses clartés, avec ses idées, avec ses intuitions et ses passions, avec ses bons côtés et avec les aspects plus discutables de sa personnalité : le Dieu de l’appel convoque le tout, il ne fait pas de tri ni de sélection.
En ce début de temps ordinaire, je vous souhaite d’entendre à votre tour la Présence divine qui s’approche doucement et qui là, près de votre lit, vient murmurer deux fois votre nom.
Fr. Etienne Dumoulin
Lectures de la messe :
Is 40, 1-5.9-11
Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14
2 P 3, 8-14
Mc 1, 1-8