« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle ».
Un jour dans le désert, les Hébreux avaient établi leur campement en un lieu où il y avait beaucoup de serpents venimeux qui les mordaient. Alors Moïse fabriqua un serpent de bronze, le mit sur un mât et tous ceux qui étaient mordus et le regardaient, étaient guéris. Quelle étrange histoire ! Et voilà que l’évangile applique cet épisode de l’histoire d’Israël à Jésus et à nous tous.
Demandons-nous d’abord : que représentent ces serpents dont la blessure peut être mortelle ? Depuis la Genèse, nous savons que le serpent c’est le séducteur, le tentateur, celui qui entraîne au mal. Les morsures du serpent ce sont les tentations et beaucoup y succombent. Mais en quoi les Hébreux ont-ils cédé au séducteur et au Malin ? La Bible nous le raconte : ils ont perdu confiance. Dans leur marche ils ont perdu courage et ont murmuré contre le Seigneur qui les avait fait sortir d’Égypte et qui maintenant les conduisait à travers des régions désertiques où ils avaient faim et soif. Dans l’épreuve, ils ont manqué de confiance dans la bonté de Dieu et oublié tout ce qu’il avait accompli pour eux.
Dans notre marche du carême, et tout au long de notre pèlerinage terrestre, le grand danger c’est de perdre confiance en Dieu, c’est de murmurer et de nous détourner de lui. Pour nous aussi, le risque est grand de ne plus faire confiance au Seigneur, de l’oublier et de ne plus nous appuyer sur Lui. Puisque Dieu semble se taire, puisqu’il n’intervient pas, alors qu’il y a tant de choses dans le monde qui vont si mal, alors nous cherchons notre sécurité et notre salut ailleurs.
Qui peut nous guérir de la morsure du doute et de la défiance, qui nous délivrera de cette maladie qui nous conduit à ne plus faire confiance à Dieu ? Jésus répond dans l’évangile en établissant un parallèle étonnant entre le serpent de bronze élevé par Moïse dans le désert et le Fils de l’homme élevé sur la croix. Dans un cas comme dans l’autre, un instrument de mort, un serpent venimeux d’une part, une croix d’autre part, devient un instrument de guérison et de vie. Dans les deux cas, il faut savoir se détourner de soi-même, cesser de regarder vers nos peurs et ce qui nous angoisse pour regarder vers le haut. Mais, si avec Moïse il s’agit d’une guérison extérieure et physique, il s’agit désormais d’une conversion en profondeur. La véritable guérison pour nous elle s’opère en regardant le Christ en croix, c’est-à-dire en prenant conscience jusqu’où Dieu nous a aimés en nous donnant son Fils unique.
Mais pour comprendre et pour être guéri, il ne s’agit pas seulement de regarder mais de contempler longuement, comme les quelques femmes au Golgotha qui se tenaient à distance et contemplaient le crucifié. Bien plus, pour être guéri et sauvé, il faut non seulement regarder en contemplant mais aussi en croyant. Le verbe « croire » revient plusieurs fois ici. Là où il est dit : « Tout homme qui regardera le serpent d’airain vivra, l’évangile dit : « Tout homme qui croit en lui possède la vie éternelle ». C’est que la foi est le contraire de la défiance et du murmure. Voir ne suffit pas, ni même regarder et contempler. Il faut encore que ce regard soit un regard de foi, un regard qui fait confiance, une confiance qui transforme toute la vie. Confiance difficile puisqu’elle doit naître à la vue d’un crucifié. Il faut alors savoir attendre pour que se lève la lumière de la résurrection. Dans l’épreuve et les traversées du désert, il faut pouvoir persévérer dans la foi avant de découvrir comment le Seigneur était à l’œuvre pour nous guérir et nous faire renaître à une vie nouvelle.
« Ils lèveront les yeux vers Celui qu’ils ont transpercé », entendrons-nous lors du récit de la Passion, le vendredi saint. C’est en contemplant le crucifié que les croyants découvrent et reconnaissent le Messie. C’est pourquoi, même si nous croyons que Jésus-Christ est ressuscité, il est juste et bon que l’image du crucifié se retrouve un peu partout, non seulement dans nos églises mais dans nos maisons et sur nos places, parce qu’elle nous rappelle combien Dieu nous a aimé et continue à nous aimer.
Jésus cloué sur une croix, comme le serpent cloué sur un mât, c’est le signe de notre guérison et de notre salut. Ce mystère pascal, il faudra bien toute notre vie pour y entrer petit à petit, pour que la lumière et la vérité se fassent en nous. En cela Nicodème, à qui Jésus s’adresse dans ce passage, est un bon exemple. Nicodème était un personnage important qui avait entendu parler de Jésus. Il désirait le connaître mais sans que personne ne le sache. C’est pourquoi il vient de nuit. Malgré son manque de courage, c’était un chercheur de Dieu, il cherchait la vérité. Et peu à peu la lumière s’est faite en lui. L’année suivante, il aura l’audace de prendre publiquement la défense de Jésus. Et, au moment de la Passion, il sera l’un des rares à être présent au Golgotha et c’est lui qui l’ensevelira. Nicodème a accepté de s’approcher de Jésus, il a pris parti pour lui, il a posé des gestes, il l’a suivi jusqu’au Calvaire et la lumière s’est faite en lui, la lumière de Pâques. Et toute sa vie en a été transformée.
« Ils regarderont vers Celui qu’ils ont transpercé ». C’est là que se résume toute la mission de Jésus : aimer jusqu’à donner sa vie. En Lui, c’est Dieu que nous voyons, mais Dieu méconnaissable. Et pour être son disciple, il est nécessaire de le contempler longuement pour apprendre peu à peu à le reconnaître. Et il y a beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à faire le deuil d’un Dieu tout puissant et menaçant pour découvrir un Dieu qui nous aime jusqu’à en perdre la vie.
Fr. Bernard de Briey
Lectures de la messe :
2 Ch 36, 14-16.19-23
Ps 136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6
Ep 2, 4-10
Jn 3, 14-21