Le fil conducteur de ce deuxième dimanche de l’Avent pourrait bien être une injonction à « se ramasser », comme on dit familièrement, à bouger, à se lever ou relever, à s’y mettre…
Se mettre à quoi ? L’extrait du livre de Baruch y va sans détour : « Debout Jérusalem », ou « Lève-toi », selon les traductions, « tiens-toi sur la hauteur et regarde vers l’Orient… » Là où le soleil de lève, là où chaque jour recommence, là où tout redevient possible. Les versets qui précèdent, d’une grande force poétique, ouvrent à cette injonction : « Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours… »
Mais qui était ce Baruch ? L’auteur aurait emprunté ce nom, Baruch, qui signifie « béni », au compagnon et secrétaire de Jérémie, en s’inscrivant dans son souffle prophétique, mais dans un autre contexte. Nous serions ici au deuxième siècle lors de la domination grecque, brutale et violente. La communauté juive avait aussi besoin d’encouragement.
Ainsi cette parole vaut pour toutes les périodes où couve le risque de défaitisme et de désespérance. A l’heure où nous voyons notre monde menacé par le chaos, elle semble écrite pour nous. Cette justice promise par les Ecritures a bien de la peine à se réaliser. La période romaine, à laquelle l’évangéliste Luc se réfère pour situer l’entrée de Jean-Baptiste et de Jésus dans l’histoire, n’est pas exempte de violence : Tibère était un empereur omnipotent, Hérode un tyran sanguinaire.
Non, le mal n’est pas détruit, la violence continue à sévir, nous avons même le sentiment qu’elle reprend de plus belle. Un espoir s’était levé après la deuxième guerre mondiale, « Plus jamais ça ! », a-t-on dit ! La question est lancinante et traverse les âges. Il y a quinze jours , ne chantions nous pas ici même ce refrain : « Quand verrons-nous ta gloire transformer l’univers ? »
Mais quelle est-elle cette gloire annoncée par les prophètes et encore par Jean-Baptiste, à qui l’évangéliste Luc attribue les mots d’Isaïe ? La gloire de Dieu, ne serait-ce pas celle du Dieu créateur, dans toute sa magnificence, mais aussi celle de l’étable de Bethléem et de la croix plantée au Golgotha ? Revêtir la parure de la gloire de Dieu, comme nous y invite Baruch, ne serait-ce pas, autant que faire se peut, donner corps à l’étincelle divine présente en chacun, être signe de la beauté de la création, de sa bonté originelle, d’une justice qui se cherche et d’une miséricorde qui se donne, mais avec l’humilité de l’enfant de la crèche et la confiance nue du crucifié ? Comme l’a écrit saint Irénée, n’est-ce pas en vivant du Christ que nous manifestons la gloire de Dieu ? « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! », dit-il.
Jean le Baptiste, dit le dernier des prophètes, est introduit par Luc à la manière dont ceux-ci sont présentés dans l’Ancien Testament : « La parole de Dieu lui fut adressée dans le désert ». Dans les Ecritures, le désert a une signification toute particulière, il est le lieu de l’épreuve et du dépouillement des certitudes, du silence, d’où peut sourdre une Parole qui appelle au changement.
Au désert donc, Jean Baptiste pressent l’urgence d’un « autrement Dieu », selon les mots de Raphaël Buyse, dont je cite un extrait : « Là-bas, dans le désert, à la frontière, il paraît que Jean Baptiste déchire l’horizon. Cet homme est en rupture. (…) Il faut, dit-il, repasser le Jourdain, pour revenir ensuite sur la Terre promise. Retourner aux commencements pour retrouver une nouvelle jeunesse. Cet homme est un passeur. On dit qu’il ouvre l’avenir. » (1)
« Autrement, Dieu ? » Et si c’était possible ? Mais, pour cela, il faut retrousser ses manches : rendre droits les sentiers, combler les ravins, abaisser toute montagne. Qu’est-ce cela sinon aplanir ou assainir nos chemins parfois tortueux ou rocailleux, combler les ravins de nos inquiétudes ou de nos peurs, ou encore consentir à vivre avec nos blessures, tout cela pour libérer nos cœurs de toute emprise, quitter notre robe de tristesse et revêtir la parure de la gloire de Dieu.
Oui, en ce deuxième dimanche de l’Avent, les textes nous appellent à la joie et au déminage, en nous, de ce qui fait obstacle à la « vie vivante ». Prenons à notre compte cette injonction, adressée à Jérusalem, à nous lever et à regarder vers l’Orient, à nous ouvrir à la lumière qui, à chaque aurore, chasse les ténèbres, à nous réjouir des étoiles qui brillent dans la nuit, mais aussi dans la nuit de nos propres obscurités et celles du monde.
Un roman lu il y a peu, Le palais Mawal, de Dominique EDDE, dit cela magnifiquement. L’histoire se passe au Liban, Daech est encore bien actif. Un de ses membres vient de commettre un attentat gratuit et cruel. S’ensuit un dialogue entre un des protagonistes du récit, un homme déjà d’un certain âge, et une jeune femme complètement désemparée. Voici ses mots : « Tu découvres d’un coup le puits sans fond de l’horreur. N’oublie pas que l’amour et la beauté sont aussi des puits sans fond. » Et puis, un peu plus loin, « Venise, c’est le nom de la jeune fille, apprends à vivre quand la vie déraille. » (2)
(1) Raphaël BUYSE, Autrement l’Evangile, Bayard, p. 38-39
(2) Dominique EDDE, Le palais Mawal, Albin Michel, p. 183
Marie-Pierre Polis
Lectures : Ba 5, 1-9 ; Ps 125 1-2ab, 2cd-3, 4-5,6 ; Phil 1,4-6,8-11 ; Lc 3, 1-6