Jésus, fatigué, se reposait tandis que ses disciples étaient allés en ville pour faire des courses. Nous n’avons plus de pain. Venez déjeuner. Ils quittèrent ce lieu et se mirent en route. Il écoutait les malades et les guérissait. Jésus entra chez ses amis à Béthanie.
Ces phrases évoquant l’évangile, nous laisse entendre que le Christ a connu une vie ordinaire comme nous avec ses côtés répétitifs et familiers.
Mais aujourd’hui, il se passe quelque chose d’extraordinaire. Matthieu commence son récit par une précision temporelle « Six jours après… » Le septième jour est, nous le savons, un jour à part, ouvert sur le ciel. Si le temps est particulier, le lieu l’est aussi : « sur une haute montagne ». Là aussi, nous nous rapprochons de la Transcendance.
Par contre au sol, les iconographes représentent Pierre, Jacques et Jean en position, pour le moins étonnante : ils sont sens dessus dessous, renversés, retournés, comme on peut l’être après un tremblement de terre ou une bonne prise de judo. L’iconographie de l’Apocalypse représente saint Jean dans la même position lorsqu’il a la vision du Fils de l’Homme avec l’épée, symbole de la Parole, sortant de ses lèvres. » A sa vue, je tombai comme mort à ses pieds. »
Le Jésus de la vie quotidienne se révèle tout autre en cet événement de la transfiguration. Il nous fait percevoir une réalité spirituelle habituellement cachée ou inaccessible.
Le fait que les corps soient renversés nous fait comprendre quelque chose d’important : Nous mettre à la suite de Jésus, devenir son disciple va transformer notre vie, la retourner. Devant le visage bouleversé de quelqu’un qui a vécu quelque chose de fort avec Dieu, on ne dit pas : « Quel est ton savoir, ta connaissance ? » Mais » Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’es plus le même qu’avant ! Ton visage est rayonnant, comme transformé. »
Nos lectures insistent sur le fait que le Christ reçoit domination, gloire et royauté, que devant les éclairs de Dieu, la terre s’affole. Tant que je parle de Dieu comme du chêne qui est dans mon jardin, sous le mode de l’information ou du savoir livresque, je suis à mille lieues de ce que vivent les apôtres à la Transfiguration.
Le psaume nous apprend ceci : Quand je découvre que Dieu est Dieu, que l’Infini s’est approché de ma vie, cela secoue! Je ne peux qu’en frémir, être bouleversé et craintif. Cela constitue une expérience fondamentale, car cette crainte se transforme en lumière et en joie. La crainte est la première vitesse de l’amour, mais elle est indispensable, car elle est la garantie que nous ne nous adorons pas nous-même ou l’idée de Dieu que nous nous sommes construite, mais bien le Dieu Autre par excellence.
Si tout cela est du vécu, le chemin nous fait pourtant passer par l’écrit : » Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres » dit le livre de Daniel. Et dans l’évangile, on ouvre la Torah, symbolisée par Moïse et les prophètes, représentés par Élie. Le jeu des interprétations pourrait nous séduire au point d’y demeurer, de dresser trois tentes et de nous y installer comme en un groupe biblique permanent avec tout l’enthousiasme que cela peut susciter. Mais Matthieu précise à la fin du texte : » Il n’y avait plus que Jésus seul. Cela ne veut pas dire que Loi et Prophètes sont dépassés, mais qu’ils sont intériorisés, incarnés et que leurs sens s’achèvent dans la vie, en bas de la montagne. Ce que je veux dire est bien exprimé par Angélus Silesius dans la conclusion du « Pèlerin Chérubinique : » Ami, c’en est assez. Si tu veux lire davantage. Alors va, et deviens toi-même le livre, et toi-même, l’essence. »
Fr. Renaud Thon
Lectures du jour :
Dn 7, 9-10.13-14
Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9
2 P 1, 16-19
Mt 17, 1-9