Jean-Baptiste est là comme une des figures les plus fortes de l’Avent. Et l’évangile de Matthieu n’hésite pas à en tracer un portrait haut en couleurs. Jean-Baptiste porte un vêtement de poils de chameau et une ceinture de cuir. Il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage. Il est surtout une voix puissante de prophétie qui relaie celle du prophète Isaïe: « préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ». Il n’y va pas non plus par quatre chemins: « déjà la cognée se trouve à la racine des arbres: tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu ». Il emploie des mots qui font choc: la hache dans la racine, la pelle à vanner le blé, le feu qui brûle la paille et l’arbre qui ne donne pas de fruits.
Mais cet homme ainsi vêtu, venant d’un autre âge, en quoi nous concerne-t-il ? En quoi nous concerne-t-il encore ?
Il y a cet homme qui prend distance par rapport au train du monde tel qu’il est et tel qu’il va. Libre quant au vêtement et à la nourriture, pour que ces choses nécessaires ne deviennent pas des dépendances.
Nous n’avons pas à nous vêtir d’un pagne en poils de chameau ni à manger des sauterelles mais à nous garder assez libres pour n’être pas assujettis au monde des valeurs marchandes. Assujettis à toutes nos envies. Car le risque n’est-il pas de surprotéger notre vie pour la conserver au lieu de la laisser porter fruit ?
Et puis, cet homme parle mais d’une parole tirée des profondeurs. Nous qui vivons de plus en plus de mots qui circulent vite, qui passent en quelque sorte d’une main à l’autre comme une monnaie, qui nous habituons toujours plus à une parole donnée qui n’est plus donnée mais prêtée, comment ne pas sentir la différence et en même temps l’urgence de ces mots qui ont été longuement portés et mûris au-dedans par une vie vouée et vidée peu à peu des bruits de surface et des fureurs ?
Jean-Baptiste a des mots qui nous portent à l’intérieur de nous-même, qui nous renvoient à la racine de l’arbre de notre vie. Notre vie porte-t-elle encore des fruits, de bons fruits ?
Oui, les propos de Jean-Baptiste sont parfois saignants: « Engeance de vipères…Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion ». Ne faut-il pas craindre là-dedans un zèle dangereux ? Produire l’homme, l’homme nouveau, une humanité enfin neuve, vouloir changer l’homme…Mais n’est-ce pas ce qu’on toujours eu en vue les révolutions et les dictateurs des peuples ? Et les Eglises à certains moments. Comment ici se préserver de la prétention et du pouvoir sur autrui, en sachant mieux que lui ce qui est bon pour lui ? Eh bien, Jean-Baptiste a des paroles fortes mais il ne s’impose pas. Il ne se met pas à son compte. Au contraire, il s’efface: « Préparez les chemins du Seigneur…Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales ».
De plus, Jean-Baptiste entend rester dans l’Ouvert de l’Esprit. A ses yeux, le changement des coeurs ne vient pas de l’extérieur, des discours, des programmes, des plans, des idéologies, même s’il en faut. Il est l’oeuvre de l’Esprit saint de Dieu: « lui vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu ». L’arbre ne peut produire de bons fruits que s’il est un bon arbre, comme dira Jésus.
Ainsi, personne-charnière entre deux mondes, Jean-Baptiste ne demeure-t-il pas comme un symbole actif de ce que nous avons à être et à faire aujourd’hui: ouvrir les chemins pour que l’Esprit gagne les profondeurs de l’humanité. On voit bien qu’il reste une figure prophétique, non démodée. Il reste inspirant.
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Is 11, 1-10
Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 12-13, 17
Rm 15, 4-9
Mt 3, 1-12