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Depuis quelques semaines déjà, notre communauté du dimanche s’élargit grâce à la technique et au pouvoir des ondes. Chez vous ou en voiture,  sur un lit d’hôpital ou en prison, vous vous unissez à nous pour cette Eucharistie et, nous-mêmes, nous nous  ouvrons à vous qui, pour une raison ou une autre, ne pouvez rejoindre physiquement une communauté. Par cette ouverture, il y a comme un débordement de notre assemblée réunie ici,  au monastère de Wavreumont.

Cette évocation d’une communion qui déborde les murs me permet d’entrouvrir ce qu’on appelle souvent le mystère de la Trinité. Il me semble en effet que, seule, une approche existentielle donne accès à ce qui apparaît, hélas, trop souvent bien théorique. La vie trinitaire n’est-elle pas avant tout une réalité qui rencontre notre expérience humaine et déploie son sens en plénitude, sens comme signification et comme direction ?

En effet, quoi qu’en disent les mathématiciens, dans une relation, quand elle est positive, 1 + un, ne font pas deux, mais trois. L’amour est don et contre-don, fécondité,  profusion, ouverture au tiers. Celui-ci démasque et réduit toute velléité narcissique. On se rappelle la figure de Narcisse,  ce beau jeune homme qui, à force de se contempler, tombe dans l’eau qui lui faisait office de miroir et se noie. La tendance narcissique peut aussi s’insinuer dans la relation à deux ou même dans un groupe. On est bien ensemble, on se suffit, auto-satisfait.

Le tiers brise le cercle de l’enfermement narcissique et projette hors de soi.  Récemment, lors d’une Eucharistie d’action de grâces à la mémoire de Mgr Jacques Gaillot, on a relu quelques extraits de ses livres et une expression a retenu mon attention : « Accueillir, c’est toujours mourir… pour que puisse advenir quelque chose d’autre». Oui, accueillir l’autre,  c’est lui faire place et donc accepter d’être dérangé, mourir à sa tranquillité et à son confort du moment, c’est entrer dans une dynamique d’échange dont on risque de ne pas sortir tout à fait indemne.

N’est-ce pas là ce qui se vit au sein de la relation trinitaire de notre Dieu ?  Il est en lui-même échange, communion, générosité pure, communication de son Être. C’est sa Vie même.   Sur le plan humain on peut  dire : « Quand on aime, on est un parce que l’amour unit. On  est deux parce que l’amour respecte la différence. On est trois parce que l’amour déborde. » Mais ceci ne dit-il pas à merveille le mouvement même de l’amour trinitaire vécu en Dieu ? Qui déborde au point de sortir de Lui-même et de créer l’Adam, l’Humain, de nous créer, dans la gratuité même de cet amour débordant. « La Trinité divine, écrit Maurice Zundel, c’est le grand joyau de l’Evangile. C’est le grand secret d’amour, la découverte la plus merveilleuse. »

Par le baptême, « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », nous sommes plongés dans ce mystère de relation qu’est Dieu  et invités  à en vivre. C’est-à-dire inventer, au plan interpersonnel comme au plan sociétal, une  manière d’être et de vivre qui favorise la communion dans la diversité et construit la paix, qui fait advenir la personnalité de chacun sous le regard bienveillant des autres, sur fond d’une égale et commune dignité. C’est donc renoncer à toute volonté de domination ou d’appropriation et inscrire ses pas dans la voie de « l’humilité de Dieu »  (Varillon). Tel est le sens de l’exhortation de Paul entendue ce matin : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous ». Soit : vivez de et dans cet amour, encouragez-vous, soyez dans la joie !

Cette foi trinitaire ne vient pas de rien, elle s’inscrit dans la foi d’Israël et la découverte d’un « Dieu-pour-l’homme », un Dieu qui accepte de renouveler une alliance rompue dès le départ, comme en témoigne le magnifique  récit de l’Exode lu aujourd’hui.

Rappelons le contexte. Moïse, ébranlé par l’infidélité d’Israël et le culte rendu au veau d’or, a brisé les tables de la Loi, mais, sous l’invitation d’Adonaï, il reprend le chemin du Sinaï après avoir à nouveau taillé deux tables de pierre. Semblables aux premières, mais pas tout-à-fait, disent les rabbins,  les secondes alliant au don de la  justice celui de l’amour, sans lequel il n’y avait plus d’avenir pour Israël. L’amour dépasse la justice, indispensable pourtant.

Moïse monte vers Adonaï, Adonaï descend auprès de Moïse, voilé dans la nuée, mais criant par deux fois Son propre nom, le nom imprononçable du Tétragramme, déjà révélé lors de la scène du buisson ardent. Il désigne alors Lui-même   les qualités qui constituent son Être : la miséricorde et la tendresse, l’amour et la vérité. Il se dit encore lent à la colère,  c’est-à-dire capable de prendre du recul à l’égard des fautes humaines voire, comme il est dit dans le verset occulté, non de les innocenter, mais de les recouvrir et de  restaurer la relation, de lui donner une chance nouvelle.

Ainsi, l’expérience malheureuse du veau d’or aura-t-elle eu comme effet bénéfique de révéler la bonté inouïe et indéfectible du Dieu de l’alliance. Et l’on voit combien  la découverte progressive d’un Dieu trinitaire s’enracine dans l’expérience juive et combien la lecture et l’interprétation de ces grands récits de la Torah éclairent et nourrissent encore notre propre foi.

Marie Pierre Polis

Lectures de la messe :
Ex 34, 4b-6.8-9
Dn 3, 52-57
2 Co 13,11-13
Jn 3, 16-18

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