Chers amis, ouvrir l’Avent, c’est commencer une année nouvelle. Je me rappelle être entrée en classe un premier lundi d’Avent en souhaitant une bonne année à mes élèves. Ceux-ci s’en trouvèrent tout éberlués se demandant ce qu’il m’arrivait, quelle mouche m’avait piquée.
C’est que l’Avent a un goût de commencement, pas seulement de recommencement. Si chaque année suit le même rythme liturgique, il ne s’agit pas seulement de faire mémoire, d’année en année, d’un événement passé, la Nativité, mais d’accueillir AUJOURD’HUI Celui qui, en Jésus, est venu et continue à venir s’il trouve un terrain d’accueil. Nous ne sommes pas aujourd’hui ce que nous étions l’année dernière. C’est donc avec ce qui nous constitue ce jour que nous sommes invités à entrer dans ce mouvement de Dieu qui vient à nous, jusqu’à descendre en nous et le laisser advenir.
Descendre, terme que l’on trouve dans le cri désespéré du prophète Isaïe entendu ce jour. « Ah si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face. » Pour comprendre la profondeur de ce cri, il nous faut situer brièvement le contexte de cet extrait issu du Troisième livre d’Isaïe. Son auteur, ou un collectif d’auteurs, aurait vécu à Jérusalem après l’Exil, une période difficile. La communauté est hétérogène et divisée : les Juifs revenant de Babylone, pleins de zèle religieux, sont confrontés à ceux qui sont restés et se sont parfois compromis avec l’occupant. Le prophète se trouve devant une tâche terriblement difficile, le peuple est au bord de l’implosion.
C’est donc un cri existentiel que pousse le prophète, qui craint pour la survie de son peuple. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec aujourd’hui et la situation dramatique en Israël et en Palestine, mais aussi pour combien d’autres peuples victimes de violences.
« Ah, Dieu, si tu déchirais les cieux et si tu descendais… », c’est le cri qui sort de la bouche de l’homme depuis la nuit des temps… « Que s’éclaire ton visage », chantait le psaume, littéralement : « Fais luire ta face », ainsi les choses pourraient s’arranger, avons-nous envie de penser ! Mais ce verset est précédé d’un autre : « Fais-nous revenir à toi… ». Dieu tout seul ne peut rien.
Si le texte d’Isaïe est un cri, il est aussi une confession de foi : « C’est toi notre père, notre rédempteur. Notre « goël », au sens de celui qui « ré-ouvre » l’avenir, donne une chance nouvelle, un sens nouveau à la vie. Un peu plus loin : « Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes l’ouvrage de ta main. » Mots admirables qui disent, malgré tout, la confiance du prophète. L’image du potier est très parlante et renvoie à la création. Revenir à Dieu ne serait-ce pas consentir à se laisser à nouveau créer ?
Pour les chrétiens, la réponse à ce cri se fait en Jésus. Dieu déchire les cieux, descend en notre humanité. Marc, l’évangéliste qui va nous accompagner cette année, apporte un soin particulier à nous le montrer lorsqu’il rapporte le baptême du Christ par Jean le Baptiste qui voit « les cieux se déchirer » et entend une voix disant : « Celui-ci est mon fils bien aimé, il a toute ma faveur ». Ce verbe « déchirer » n’apparaît dans tout son évangile qu’ici, au tout début, et à la fin, juste après la mort de Jésus, lorsque « le voile du sanctuaire se déchire en deux, de haut en bas », du ciel à la terre. L’abolition de la séparation entre le monde de Dieu et le monde des hommes est ainsi consommée.
La réponse à ce cri, loin d’être celle d’un Dieu tout-puissant, est l’image d’un tout petit, désarmé et totalement dépendant. Un Dieu fragile qui se remet, en Jésus, entre les mains des hommes, qui le condamneront. Images de vulnérabilité qui se répondent, celle de l’enfant de la crèche et celle du crucifié. A nous désormais de nous débarrasser de tout ce qui nous empêche de nous mettre au diapason de la révélation d’un tel Dieu et, surtout, d’en vivre. A nous de nous mettre en route pour rencontrer ce Dieu qui est venu et qui vient.
On se souvient du Père Duval à qui il est sans doute arrivé souvent de crier vers Dieu du fond de sa souffrance et qui continuait à chanter « Le Seigneur reviendra, il l’a promis ». Il s’accrochait à ce Dieu à qui il avait donné sa vie, mais il savait la part qui revenait à l’homme, ne pas succomber au désespoir, garder sa lampe allumée car « le Seigneur reviendra la nuit qu’on ne l’attend pas, ne sois pas endormi cette nuit-là ». Le Seigneur peut surprendre même au creux de la nuit, nuit de souffrance, de désespoir ou de doute. Oui, « tiens ta lampe allumée. »
C’est bien le sens de l’Evangile de ce jour et de ce temps d’Avent. J’aime cette autre image qui nous est proposée aujourd’hui. Après celle du potier qui nous façonne, attribuée à Dieu, celle du portier, réservée à l’homme tenu de rester éveillé pour laisser le maître entrer, descendre en sa maison. Sans portier, le maître doit rester dehors ! Notre Dieu, s’il veut descendre en notre humanité, doit trouver porte ouverte et maison prête à l’accueillir ! Bel Avent !
Marie-Pierre Polis
Lectures de la messe :
Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7
Ps 79, 2ac.3bc, 15-16a, 18-19
1Co 1,3-9
Mc 13, 33-37