Le secret du bonheur
Le découpage de l’Evangile dans la liturgie risque parfois de limiter notre bonne compréhension. Ainsi, la question posée aujourd’hui à Jésus vient d’un scribe qui avait entendu leurs discussions, dit le texte de Marc. Or ces discussions qui précèdent le passage que nous venons d’entendre, elles se situent autour du Temple de Jérusalem – ce n’est pas sans intérêt de le signaler, nous sommes là au coeur de la religion juive – et ces discussions viennent d’abord des grands prêtres, des scribes et des anciens, puis St Marc fait défiler les pharisiens et les hérodiens en ajoutant : pour prendre Jésus en défaut, – ensuite les sadducéens – et comme son évangile ne s’adresse pas d’abord à des Juifs, il précise : ces gens-là ne croient pas à la résurrection -, enfin la question d’aujourd’hui, celle du scribe qui a entendu tout cela, et on comprend qu’il soit plein d’interrogations : comment s’y retrouver dans cet imbroglio ? La loi attribuée à Moïse comprenait 613 préceptes… Quel est le premier de tous ces commandements ?
A première vue, ceci n’a rien à voir avec la situation que nous connaissons aujourd’hui. Les crises de notre Eglise et de nos sociétés ont apparemment relégué au second plan la question de Dieu et de ses commandements. Mais en même temps, il semble qu’on soit en plein brouillard quant au sens de la vie et aux routes qu’il convient de suivre pour la réussir… J’ai eu l’occasion récemment d’assister à la conférence d’une pédopsychiatre qui dressait un bilan plutôt inquiétant de la santé mentale d’un bon nombre d’enfants et d’adolescents, victimes d’une addiction aux écrans et aux réseaux sociaux. Comment y discerner l’essentiel et devenir responsable ? Comment faire des choix véritablement réfléchis et grandir vers une responsabilité adulte ? Et Dieu dans tout ça ?…
La réponse de Jésus est limpide : Tu aimeras. En nous arrêtant seulement à ces deux mots, nous retenons déjà l’essentiel. Aimer, c’est sortir de soi-même et de ses préoccupations personnelles pour se tourner vers l’autre et se soucier de lui, de sa personne. « Aimer, disait Marc Oraison, c’est considérer l’autre comme autant existant que soi ». Je me souviens aussi de ce vieux couple qui célébrait ses noces d’or, et le mari appelait délicieusement sa femme ‘mon petit trésor’… Se tourner vers Dieu comme vers un trésor, le chercher et se laisser attirer par lui, vouloir le suivre de tout son être, de tout son esprit, de toute son âme et de toutes ses forces, voilà donc le premier secret du bonheur humain. Car c’est bien de bonheur qu’il s’agit, bien davantage que d’obéissance à un règlement…
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Jésus ne fait que répéter ce que le scribe, un professionnel des Ecritures Saintes, connaît parfaitement et que nous venons d’entendre en première lecture dans le livre du Deutéronome. Mais il met sur le même pied ‘tu aimeras le Seigneur ton Dieu’ et ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’. C’est l’autre secret du bonheur selon Jésus.
L’originalité de l’Evangile, c’est de relier les deux commandements de la Loi ancienne pour n’en faire qu’un seul. Car, dit-il aussi dans un autre contexte, ce que vous faites au plus petit de ceux-là qui sont les miens, c’est à moi que vous le faites. Impossible désormais de séparer l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Les deux préceptes ne font qu’un…
Que manque-t-il encore ? La réponse du scribe : il manifeste qu’il a bien compris le message de Jésus, et celui-ci n’hésite pas à le féliciter : Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. Comme j’aimerais qu’il me dise cela un jour ! Car aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices.
Il ne suffit pas de venir à la messe
Abbé René Rouschop
Lectures: Dt 6, 2-6 ; Hb 7, 23-28 ; Mc 12, 28b-34