Nous avons là deux faits divers et une parabole. Dans les trois cas, me semble-t-il, la parole de Jésus résonne d’abord comme une bonne nouvelle, mais s’achève sur un ton menaçant. Jésus dit clairement que les victimes – d’un massacre ou d’un accident – n’étaient pas de plus grands pécheurs que les autres. Mais il ajoute : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Dans la parabole, il intervient pour que le maître prenne patience et laisse une chance au figuier, mais les derniers mots sont : « Sinon, tu le couperas. »
Qu’est-ce que cela signifie ? Sans doute ceci. Ceux que la tour de Siloé a écrasés n’étaient pas plus mauvais que vous ; ce qui veut dire que vous ne devez pas vous croire meilleurs que les autres parce qu’elle vous a épargnés. Si le malheur n’est pas une preuve de culpabilité, la bonne santé et le bonheur ne sont pas non plus des certificats d’innocence. Ne prenez pas votre chance pour une approbation du ciel. Dans votre cas, c’est peut-être seulement le hasard qui fait bien les choses.
Et de toute façon, l’essentiel n’est pas là. Le véritable malheur qui pourrait vous arriver, le plus grave, ce serait d’être séparé de Dieu. Toutes les menaces du monde présent sont en définitive peu de chose à côté du péril où vous mettent vos péchés. Dieu ne vous châtie pas, mais le péché, en vous écartant de la Source de tout bien, contient son propre poison.
La parabole n’oppose pas le désir de Dieu (représenté par le maître qui veut couper le figuier) et l’intercession de Jésus (représenté par le vigneron). Elle oppose deux théologies, celle de Jean-Baptiste et celle de Jésus. Dans la prédication de Jean, la cognée se trouvait déjà à la racine des arbres. Dans celle de Jésus, on y met du fumier, on laisse un répit. Quand Jean-Baptiste, dans sa prison, apprend ce que fait Jésus, il saisit que son programme a été modifié : les arbres ne sont pas coupés, l’aire à battre le blé n’est pas nettoyée, le feu qui ne s’éteint pas n’est pas allumé. Jean finit par avoir des doutes : « Ai-je eu raison de reconnaître en toi le Messie qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Et la réponse de Jésus signifiera : « Je suis bel et bien celui qui doit venir, mais je ne suis pas tel que tu l’attendais : tu aurais dû, en effet, attendre un autre Messie que celui que tu as annoncé, impatient de trancher dans le vif et de jeter au feu. »
Jésus n’en dira pas moins que Jean-Baptiste est le plus grand des enfants des femmes, et je ne prétends pas qu’il faille négliger ses avertissements. Pourtant, le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que Jean, ajoutera Jésus, la logique du Royaume n’est pas celle de la cognée et de la pelle à vanner. Si nous rêvons d’un Dieu qui vient mettre de l’ordre et punir les méchants, nous risquons fort d’être déçus. Sainte Mechtilde, qui bénéficiait de révélations, a un jour cherché à savoir si certains hommes célèbres étaient en enfer : le roi Salomon, tombé dans l’idolâtrie de ses épouses, Samson, qui s’est vengé de ses ennemis en se donnant la mort, Origène, dont l’Église a condamné plusieurs propos, Trajan et peut-être Aristote, qui n’ont pas reçu le baptême. Jésus a refusé de lui répondre. De crainte qu’on n’abuse dorénavant de sa miséricorde.
Frère François
Lectures: Ex 3, 1-8a.10.13-15 ; 1 Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9