Nous pourrions ce matin nous arrêter sur l’un ou l’autre mot de cet évangile ou de ce qu’ils suggèrent.
Tout d’abord, je constate avec vous que ces paroles de Jésus ou les paroles que l’évangéliste lui prête sont venues jusqu’à nous. Il y a eu une transmission de siècle en siècle et ces paroles anciennes qui datent de la fin du 1er siècle nous rejoignent ce matin de l’été 2024. C’est notre premier étonnement.
Je m’arrête aussi sur le mot « pain ». Et là, nous sommes invités à une traversée qui nous fait changer de regard. Pour nous, le pain est d’abord la nourriture de base. Il ne vient pas automatiquement sur la table. Il faut gagner son pain. Il faut faire du pain, le préparer, le cuire, le découper. Et, au-delà, le partager afin qu’il y en ait pour tout le monde et c’est déjà un formidable déplacement culturel. Mais avec l’Évangile, nous sommes invités à un autre déplacement ; nous sommes invités à voir un autre pain. C’est un pain qui ne vient pas des possibilités du monde mais qui se donne, il est donné. Un pain qui suppose un profond déplacement : accepter d’entrer dans une mentalité du don. C’est le passage de ce qui m’est dû au cela m’est donné. Faire place au don. Ne pas construire toute la vie sur un dû : la vie m’est due, la santé m’est due, l’amour m’est dû…
Ce que nous apprenons aussi par ce passage, c’est que le pain donné est un don qui s’accroche et se relie à un événement. C’est parce que Jésus donne sa vie, c’est-à-dire l’offre, la perd que quelque chose arrive. C’est parce qu’il y a une mort et une résurrection, une pâque, que nous sommes rejoints et que le don arrive jusqu’à nous, jusqu’au sacrement de l’eucharistie. Nous ne pouvons donc pas nous situer au niveau de l’eucharistie sans la regarder à partir de la mort et résurrection de Jésus, sans s’engager comme lui. Le théologien Metz aimait dire que la mémoire eucharistique est une mémoire dangereuse. Pourquoi ?
Arrêtons-nous aussi quelques instants sur la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’eucharistie. En disant : « faites ceci en mémoire de moi », Jésus indiquait son intention de nous rejoindre comme croyants. Sa présence est réelle mais elle nous atteint dans le signe du pain et du vin. Elle nous rejoint non pas dans l’évidence. On pourrait dire qu’elle est une présence trouée d’absence comme l’est la présence d’une mère auprès de son enfant ; elle n’est pas toute présence sans quoi elle serait envahissante. Et c’est tout aussi vrai dans un couple : la présence de l’autre ne peut qu’être discrètement absence pour être une présence réelle.
« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’humain vous n’avez pas en vous la vie ». Voilà encore des paroles qui nous déplacent car elles veulent dire que la vraie vie est toujours à rechercher. Elle n’est pas d’emblée ce que nous mettons au point avec nos horaires, nos programmes, nos plans de vie. C’est comme si la vérité de la vie nous échappait toujours et qu’il nous fallait nous remettre en marche pour la trouver. Ce qui est encore plus singulier c’est lorsque Jésus dit : « si vous ne mangez pas la chair ». Manger ? Pourquoi la Bible parle-t-elle de manger le livre ? Mais manger n’est pas dévorer. Pourquoi dans notre culture en tout cas le baiser est-il le signe primaire de l’affection et de l’amour ? Ceci non pas pour expliquer, mettre des explications. Ce que Jésus suggère c’est d’entrer dans une proximité, une intimité qui déborde une foi notionnelle. « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? ». Comment ? Dire que Dieu vient à nous sous le signe du pain et du vin, c’est dire une fois encore qu’il vient incognito, s’étant dépouillé de toutes les apparences où nous pensons reconnaître Dieu. On nous dit qu’il vient à nous comme un serviteur ou bien qu’il est à reconnaître dans ce malade que nous visitons. Incognito, il ne fait pas semblant, il ne se déguise pas. C’est là son être véritable. L’incognito est sa révélation. Laisser place à la foi qui se risque au-delà du voir.
Fr. Hubert
Lectures: Pr 9, 1-6 ; Ep 5, 15-20 ; Jn 6, 51-58
(hubthomaswav@live.be)