Lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au dedans de moi. Par ces mots, Elisabeth manifestait l’expérience originale qu’elle vécût par l’intermédiaire de son fils en train de grandir en elle.
Ce sont en effet les paroles de salutation de Marie qui firent tressaillir l’enfant dans le sein d’Elisabeth. Ces paroles de Marie ne sont pas les paroles de n’importe quelle femme. Il s’agit de celle qui porte en elle l’enfant Jésus, le fils de Dieu.
Et aujourd’hui, en ce jour de la fête de la glorification de Marie, nous sommes dans la joie. Marie est invitée à participer aux joies célestes, joies qui nous sont également promises par le Christ. En effet, par sa résurrection, il nous entraîne dans le même mouvement vers sa demeure véritable. Marie qui a accueilli Jésus dans son Corps puis dans sa maison, une pauvre maison en forme de mangeoire sur le bord du chemin, est accueillie aujourd’hui dans la demeure de Dieu.
Alors que l’Eglise, depuis plus de 2000 ans, est passée et passe encore par des moments de découragement et d’espérance, Marie refait l’expérience du don gratuit de la vie éternelle et de l’amour véritable par lequel elle a reçu Jésus. Ces dons de la vie et de l’amour dont Marie est la bénéficiaire ne sont pas des dons réservés, mais des dons promis dont tous les chrétiens recevront une mesure débordante, comme à Cana.
Tel un bouquet de fleurs, cette fête de l’Assomption nous sort de notre quotidien gris pour nous rendre l’enthousiasme de la vie en nous partageant la lumière et les couleurs de Dieu. Nos vies en voient de toutes les couleurs et Dieu vient aujourd’hui les assumer pour s’enrichir de notre expérience, comme il s’enrichit de celle de Marie. À l’image d’un bouquet de fleurs, chacun est différent, tous nous avons une forme différente: il y a des grands comme des glaïeuls, des petits comme des violettes. Il y a ceux qui piquent mais sentent bon comme les roses et ceux qui sont élégants comme des iris. Mais tous ensemble, nous faisons le bonheur de Dieu.
Marie rassemble en elle-même tout le genre humain dans une seule gerbe d’amour. Toute sa vie, elle a été présente au milieu des ambiguïtés et des contradictions du monde. Elle en souffre encore aujourd’hui, comme une mère. Le dragon de l’Apocalypse qui tente de supprimer les forces d’amour comme il a supprimé Jésus, reste bien d’actualité, mais, heureusement, l’amour de Dieu continue à déployer la force de son bras pour renverser les puissants et élever les humbles. Marie n’était pas seulement la femme en bleu et blanc sur les images pieuses, elle est aussi la femme en rouge comme le feu de la révolution ou en vert comme l’herbe qui représente la fécondité de la terre promise par Dieu.
Par sa sensibilité, Marie n’avait pas besoin de grands discours pour comprendre et entrer dans le mystère de Dieu. C’est d’ailleurs Dieu qui est entré en elle pour ensuite se manifester dans le sein d’Elisabeth. Par la rencontre de Marie et d’Elisabeth, saint Luc met en image le don de l’Esprit et de la foi qui grandit en chacun de nous; en disant à Marie : « tu es bénie ou bien le fruit de tes entrailles est béni, Élisabeth veut dire : Dieu agit en toi et par toi et Dieu agit en ton fils et par ton fils. L’Esprit Saint nous permet de découvrir dans nos vies et celle des autres –tous les autres-, la trace de l’œuvre de Dieu.
Dieu continue à naître et à renaître dans le monde par notre personnalité, notre charisme, notre couleur. Si le mal destructeur est toujours à l’oeuvre dans le monde pour encourager les guerres, les méthodes de corruption humaine, l’égoïsme… la glorification de Marie nous rappelle que l’amour dans la force de sa gratuité aura le dernier mot.
On dit volontiers que les malheurs ne viennent jamais seuls, oui, mais je crois que les bonheurs non plus. A nous de les débusquer.
L’épisode de la visitation entendu ce matin est l’occasion de nous aider à reconnaître toutes les manifestations de l’Esprit dans notre vie. Mais aussi nous découvrons que la foi est en germe en nous et qu’une rencontre peut faire éclore le Christ en train de grandir en notre sein.
Je voudrais terminer en reprenant une phrase de R.-M. Rilke quand il s’adressait à son ami, le jeune poète:
Qu’est-ce qui vous empêche de projeter la venue de Dieu dans le devenir et de vivre votre vie comme un des jours douloureux et beaux d’une sublime grossesse? Ne voyez-vous donc pas que tout ce qui arrive est toujours un commencement? Ne pourrait-ce pas être son commencement à lui? Il est tant de beauté dans tout ce qui commence…[1]
Fr. Pierre Gabriel
[1]. RILKE, Les lettres à un jeune poète, de l’éd. des Cahiers Rouges de Grasset, Paris, p.68