Dans la première lecture, qui met bout à bout deux petits extraits du livre de l’Exode, nous avons entendu quatre fois les mots le Seigneur. Et dans l’évangile, quatre fois le mot ciel. Simple coïncidence, mais peut-être clin d’œil.
Dans notre traduction de l’Exode, l’expression le Seigneur s’efforce de traduire un mot imprononçable, le nom, le nom personnel de Dieu. Vous le savez en effet, chez les Juifs, on s’interdit de prononcer ce Nom, par respect pour Dieu. À force de ne pas le prononcer, on a fini par oublier comment il se prononcerait, ce qui aide à ne pas le prononcer. Alors, quand on le rencontre en lisant la Bible, on se contente de dire : le Nom. Ou bien, dans la lecture publique, on le remplace par un autre. Les chrétiens réformés disent volontiers : l’Éternel. La traduction œcuménique de la Bible et notre traduction liturgique, sous l’influence de la version grecque, ont choisi de le rendre par le Seigneur.
Mais une autre façon de faire est de désigner Dieu par une expression imagée. C’est ce que nous faisons, par exemple, quand nous disons : « Aide-toi et le ciel t’aidera. » Tout le monde comprend que le ciel dont il est ici question n’est pas le firmament, l’espace au-dessus de nos têtes, où passent les nuages et les petits oiseaux. Ce que dit le proverbe, c’est que Dieu ne peut nous aider que si nous faisons notre part, si nous commençons par nous aider nous-mêmes. Le ciel est un nom divin.
Si nous avons cela à l’esprit, nous pouvons mieux comprendre le dialogue entre Jésus et la foule qui le retrouve à Capharnaüm. Les gens demandent à Jésus un signe. Cela peut surprendre : ils viennent d’être témoins de la multiplication des pains. Et n’allez pas me dire qu’ils n’y ont pas vu un signe, l’évangile de dimanche dernier nous a bien dit le contraire : À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. » Qu’est-ce qu’il leur faut de plus ?
Un signe venant du ciel, c’est-à-dire de Dieu, du Seigneur. Le pain que Jésus a multiplié était du pain ordinaire, fourni par un enfant qui n’avait pas voulu tout garder pour lui. Quand Jésus demande à ses interlocuteurs de croire en celui que Dieu a envoyé, ils lui demandent de prouver que c’est bien Dieu qui l’envoie. La multiplication des pains pourrait encore n’être qu’un tour de magie. Ils voudraient voir un pain miraculeux, comme la manne que leurs pères ont mangée dans le désert. Un pain certifié divin, un pain qui porterait la marque de Dieu.
Sans doute, le livre de l’Exode et le psaume parlent de la manne comme d’un pain tombé comme une pluie, venu des nuages, le froment du ciel, au sens courant du mot ciel. Encore que les images s’entremêlent : finalement, il ne pleut pas de la manne, mais elle est plutôt décrite comme le fruit d’une rosée. Quoi qu’il en soit, ce que les gens attendent de Jésus, c’est un autre pain que celui qui vient de les rassasier. Un pain de Dieu.
Et Jésus leur répond : « C’est moi. » La réponse sera développée par la suite de l’évangile, que nous entendrons les trois prochains dimanches, et que d’autres que moi auront donc le privilège de commenter. Je n’anticipe pas. Mais ce que nous savons à ce stade de notre lecture suffit pour célébrer aujourd’hui l’eucharistie. Nous allons apporter sur l’autel un pain de la terre. Quand nous le mangerons, il sera devenu le Pain du Ciel.
Lectures: Ex 16, 2-4.12-15 ; Ep 4, 17.20-24 ; Jn 6, 24-35