Comment entrer dans cet évangile de la multiplication des pains de telle manière que la Parole du Seigneur soit pour nous, à nouveau, une nourriture et nous mettent en mouvement ?
Pour entrer, que ce soit dans une pièce ou dans un texte, il faut trouver un accès, une porte.
Or, dans les lectures de ce dimanche, un détail apparemment insignifiant pourrait en faire office : le prophète Elisée reçoit des pains d’orge. Et dans l’évangile, au cœur de la question préoccupante de savoir où l’on pourrait acheter du pain pour autant de monde, il s’agit seulement de pain, nourriture de base quotidienne et habituelle. Mais, un peu plus loin, dans la corbeille du jeune garçon repéré par André, il s’agit de 5 pains d’orge.
Le premier pain pourrait symboliser nos soucis de chaque jour, nos inquiétudes quant à l’avenir, nos calculs pour finir le mois, nos petits problèmes,… alors que le second pain est plutôt porteur d’innocence, de liberté et d’ouverture à une autre dimension que les préoccupations immédiates, car il est apporté spontanément et gratuitement par un enfant. Pas question de transaction commerciale, mais plutôt une gratuité presque ludique qui ouvre au miracle.
Le dimanche matin à la messe, il se peut que le pain que nous apportons à l’autel soit de la première catégorie, c’est-à-dire celui qui porte les soucis de la semaine, chargé des tracas, des souffrances, des recherches de solution pour trouver une issue à nos problèmes, comme les gens suivaient Jésus parce qu’ils avaient vu des signes prometteurs de réponses à leurs attentes immédiates : guérisons, bienveillance, attention,…
Mais le pain que nous allons recevoir à la communion, ne sera plus le même. Il nous incorporera à une autre dimension… comme le pain multiplié dans l’évangile est du pain d’orge. Ce dernier mot, dans la langue biblique du premier testament, commence par une lettre qui, pour bien la prononcer, demande un point à sa droite ou à sa gauche. Comme le point n’apparaît pas dans le texte original, on peut comprendre le mot tantôt comme voulant dire « orge », tantôt comme porte, gardien de la porte ou portier. Ce pain d’orge est donc celui qui nous fait entrer dans une autre vision des événements :
Passer de l’autre côté de la mer avec une grande foule qui suivait.
Le peuple passa la mer à pieds secs.
Jésus gravit la montagne.
Moïse gravit la montagne.
S’asseoir sur une herbe abondante.
Il me mène sur des prés d’herbe fraîche.
Ils mangèrent à leur faim.
Ils furent rassasiés par la manne et les cailles.
Dans la montagne, lui seul. Tout se récapitule en Jésus comme lors de la transfiguration.
Les acteurs du récit de la multiplication des pains revivent l’essence de la Pâques, et pour nous aujourd’hui les mots de l’évangile deviennent notre réalité dans cette eucharistie et en mille facettes de nos existences. Nous passons de la rude banalité des jours à une expérience de ce qu’est vivre le salut, trouver une issue, être nourris pour continuer la route.
Les symboles bibliques ne sont pas des ponts inachevés qui nous laisseraient tristement sur notre rive, ils nous transportent dans la joie d’une vie renouvelée.
Frère Renaud
2 R 4, 42-44 ; Ep 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15