Vous savez, frères et sœurs, qu’une façon d’exprimer l’événement d’une conversion peut se dire par le verbe « se retourner ». Il s’agit donc de tourner son être dans le sens opposé de celui qu’on avait pris et de marcher résolument vers la Vie et vers le Dieu de la Vie.
Tourner, on peut le faire dans une route à lacets, comme celle du Trô Marets, tout en gardant une direction et une destination. Par contre, tourner en rond nous ramène toujours au même point et nous enferme dans le même espace qui est celui de l’isolement en nous-mêmes. Au début du Deutéronome, Dieu dit à peu près ceci au peuple : » Vous êtes suffisamment restés à tourner en rond autour de cette montagne. Tournez-vous maintenant vers cette direction et mettez-vous en marche … »L’injonction utilise ici la racine de Panim, visages, pour dire cette nouvelle étape. Retrouvez un visage, du caractère, une personnalité, car tourner en rond va vous rendre malades. Prenez la direction de la vie et marchez.
Or, la semaine dernière, Jésus avait brisé la routine de la synagogue de Capharnaüm en chassant un esprit mauvais qui semblait bien mécontent d’être dérangé par une Parole vivante qui venait faire brèche dans la ritournelle liturgique. Le lieu où retentit la torah, l’évangile, où l’on proclame cette parole et où on l’interprète: la synagogue, l’église, le temple,… devrait être un lieu source pour qui vient s’y asseoir. Mais nous risquons toujours d’en faire un ronronnement stérile et cela rejaillit alors sur la vie qui n’est plus perçue que comme une roue absurde de répétitions de peines et de labeurs sans fond comme l’exprime Job dans la première lecture, et comme le suggère aussi la maladie de la belle-mère de Pierre, dont la vie tourne sur elle-même dans une fièvre qui dit un désir ne trouvant pas son chemin.
Si la source de la Parole est obstruée, la vie du quotidien est comme alitée et recroquevillée sur elle-même dans une position fœtale.
Mais Jésus vient briser le cercle d’une liturgie tournant à vide. Il passe du cercle au triangle de la relation, symbolisé par les trois noms : Jésus, Jacques et Jean, mini communauté relationnelle qui s’ouvre à un autre réseau de contacts : » Il alla chez Simon et André… » et là il trouve la belle-mère de Pierre dont la fièvre symbolise l’attente d’une libération. D’abord on met des mots sur ce que l’on constate, puis Jésus s’approche, lui prend la main et la fait lever. Entendez :
Retrouver du sens par les mots en nommant notre réalité et en ressuscitant la parole.
S’approcher et briser le cercle de la répétition stérile par l’expérience de la présence de Jésus.
Prendre la main, c’est-à-dire oser des rencontres profondes qui réveillent le désir de vivre et nous relèvent.
Retrouver une raison d’être, la place du service qui est celle du Messie. » Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir ».
Rendre ainsi à chacun une mission, une filiation, une résurrection.
Voilà l’enjeu de la Bonne Nouvelle.
Alors, du cercle fermé sur lui-même à l’ouverture du relationnel domestique, Jésus comprend dans le secret de la prière que ce déplacement est appelé à se multiplier, à se répandre à tous les villages de la région et jusqu’au monde entier. » Tout le monde te cherche. » Dit le texte. Comprenez toute l’humanité aspire à ce relèvement.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Jb 7, 1-4.6-7
Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7
1 Co 9, 16-19.22-23
Mc 1, 29-39