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Aujourd’hui, je l’appellerai Lola. Elle a 13 ans. Le français, qu’elle parle couramment maintenant, n’est cependant  pas sa langue maternelle, ce qui est source de bien des difficultés scolaires qu’elle rencontre. Elle est vive, curieuse, mais l’école n’est pas sa tasse de thé. Aimant rire et s’amuser avec ses copines, elle n’y est pas très appliquée, ses résultats sont faibles.  

Mais, un jour, elle me dit : « Tu es bien assise ? Tu sais, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. » Ne sachant pas du tout où elle me menait, je lui dis : « Et c’est quoi cette bonne nouvelle ? » «  J’ai décidé de ne plus aller avec mes copines x et y, elles ont une mauvaise influence sur moi ! »  

Cette petite anecdote peut nous mettre sur la piste de la compréhension de l’Evangile d’aujourd’hui. Lola, du haut de ses 13 ans, a tout à coup réalisé que ses copines l’empêchaient d’être elle-même  et que cela risquait de nuire à son développement et à sa réussite scolaire. Et elle vivait sa décision comme une bonne nouvelle, une libération, une victoire sur elle-même. Rompant avec cette dépendance, elle prenait sa destinée en mains.  

Bien sûr, je ne veux pas réduire la portée de l’Evangile à une expérience d’adolescente, mais je me réjouis de la convergence que l’on peut voir entre les deux. La bonne nouvelle de l’Evangile s’enracine dans ce mouvement de vie et de liberté auquel aspire tout homme et que découvre, à sa mesure, la jeune Lola.  

D’ailleurs, vous me croirez ou ne me croirez pas, mais quand elle a utilisé l’expression « bonne nouvelle », j’ai pensé à frère Hubert, pour qui la question est lancinante : qu’est-ce donc la bonne nouvelle, ne cesse-t-il de se demander. Oui, qu’est-elle si ce n’est une libération, un rebondissement de la vie après un échec, une épreuve, une addiction, sa victoire sur la mort, toute forme de mort.  

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’Evangile de ce jour, qui met en scène un face-à-face tendu entre Jésus et un homme possédé d’un esprit impur. Possédé, qu’est-ce à dire ? Qu’il n’est plus lui-même, son espace intérieur est colonisé par une puissance supérieure, il est dépossédé de lui-même. Et face au Saint de Dieu, il se sent fragilisé, en situation défensive. Il réagit alors agressivement : « Que nous veux-tu ? »  Ce pluriel est intéressant : l’homme a l’air seul pourtant, mais, en lui-même, il est multiple, tension, tiraillement. Il est déchiré.  Au chapitre 5, un autre démoniaque dira « Mon nom est légion ». 

Chers amis, la division, n’est-ce pas  le mal sournois qui ronge l’homme et l’humanité ? Un mal qui peut revêtir différentes formes : le mal physique quand est rompue l’harmonie dans le corps de l’homme et qu’il faut en chercher une nouvelle au-delà de la maladie ou du handicap ; le mal social quand l’harmonie du vivre ensemble est brisée par l’injustice, le conflit ou la guerre ravageuse et meurtrière ; le mal spirituel quand l’harmonie intérieure est blessée et que s’introduisent la division du cœur et le mal-être.   

N’est-ce pas de la division que Jésus vient nous sauver ? Quand l’homme possédé réagit tout de go en disant à Jésus « Viens-tu pour nous perdre ? » il ne pouvait pas mieux dire : oui, il est venu pour perdre, anéantir, ce qui divise, désunit, sème la discorde et, à terme, la mort. Le diable, le diabolos, n’est-il pas celui qui divise ? Et Satan, l’adversaire, le contradicteur, celui qui rompt l’équilibre ?  

Quand Jésus dit ailleurs « Je suis venu sauver ce qui est perdu », n’est-ce pas de cela qu’il s’agit : déposséder l’homme des forces qui l’aliènent,  le restaurer dans son harmonie, le réconcilier avec lui-même, dans sa dignité et sa liberté, le rendre à lui-même, unifié, monos.  

« Tais-toi », dit Jésus au possédé, littéralement « sois muselé » : parole d’autorité, s’il en est, efficace. Une parole d’AUTORITE, dans le sens premier du terme, « augmenter, accroître », une parole qui permet à l’autre de devenir lui-même, d’être AUTEUR de sa propre vie. N’est-ce pas, d’ailleurs, la mission  des parents, des enseignants, des éducateurs que de permettre aux jeunes de naître à eux-mêmes dans la singularité de leur personnalité ?  

L’homme de l’Evangile,  débarrassé des forces aliénantes qui avaient pris possession de lui, peut enfin accéder à son propre moi, parler son propre langage. Cette parole d’autorité a la capacité d’agir de la même façon en nos vies et de nous libérer nous aussi de nos propres démons, si nous acceptons son face à face. L’homme à l’esprit impur a osé se confronter au Saint de Dieu, c’est lui qui a parlé en premier, ouvrant la relation, par une provocation peut-être, mais c’est lui qui a fait le pas. Et il en fut transformé.  

L’évangile porte en lui une puissance de libération, mais il faut l’audace de s’y ouvrir et de lui faire confiance. Va, dit Jésus à ceux qui font le pas vers lui et qui lui disent « tu peux me purifier ». Ce Va qui semble dire  «   vis et deviens qui tu es ». Mais il engage aussi ceux qui se risquent à en vivre à être, à leur tour, des passeurs de cette Parole qui rend libre !   

Marie-Pierre Polis

Lectures de la messe :
Dt 18, 15-20
Ps 94 (95), 1-2, 6-7abc, 7d-9
1 Co 7, 32-35
Mc 1, 21-28

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