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Église de Santa Maria Goretti Mormanno (Italie)

Ce n’est pas pour rien que la fête du Christ Roi vient colorer le dernier dimanche de l’année liturgique.  C’est dire, en effet, que l’histoire a un sens, qu’elle n’est pas seulement la succession aléatoire d’heures et d’années qui défilent arbitrairement.  En contemplant Jésus, en accueillant avec confiance la présence divine qu’il incarne au cœur de ce monde, en nous laissant éveiller par lui, en découvrant qu’il redonne aux choses et aux êtres une âme, nous percevons mystérieusement que l’univers n’est pas absurde.  Une petite lumière est là, qui réchauffe tout.  Une étincelle brille, ouvre notre réalité à sa dimension d’éternité et nourrit une espérance neuve.

Parler du Christ roi, c’est regarder Jésus messie, et c’est alors nous demander ce que l’on met derrière le mot « messie ».  Les temps messianiques, qu’est ce que c’est ?  Un nouvel âge ou une personne ?  La fameuse « fin des temps » ou un « déjà là » à l’œuvre dès maintenant, un présent qui conduit à un pas encore, un chemin qui fait sens mais sans se figer, un mouvement et non un enfermement ?  Pour le dire autrement, j’ai l’impression qu’il y a une opposition radicale entre « fixer un objectif » et « donner une perspective », entre une extériorité qui s’impose et un dynamisme intérieur qui se déploie.  Poser le problème de cette manière me permet de réconcilier la question d’un « moment messianique » et de la personne qui vient déjà maintenant le concrétiser et y donner accès.  En Jésus, pourrais-je dire, le moment messianique opère déjà, mais en même temps, ne cesse d’advenir.

Regardons cela d’un peu plus près.  Ce qui se joue dans le surgissement de Jésus au cœur de nos existence, pourrait se dire déjà comme le passage qui part d’un système religieux tout entier extérieur, pour aboutir à une rencontre fondamentale, intérieure, authentique, qui transforme la vie.  On passe d’une religion du permis et du défendu, du blanc et du noir, on passe d’un règlement garantissant apparemment la sécurité de la personne qui s’y soumet, pour entrer dans le dynamisme d’une métamorphose qui fait de celui qui la connaît un être nouveau.  On s’ouvre au processus d’une création nouvelle, risquée, mais libératrice, qui se construit dans la fidélité confiante à la source dont l’eau vive surgit au plus profond de l’âme.

La vie se met à briller, joyeuse.  On en perçoit le goût.  Peu à peu s’engendre en nous un souffle vital inédit, qui fait tout résonner à la manière du chant nouveau dont parle un psaume.  Au cœur d’un monde profondément meurtri et abîmé, au milieu d’incertitudes angoissantes, notre Dieu continue de renouveler son invitation, réitère sa confiance et sa fidélité, réaffirme sa proximité féconde, dégage des possibles inédits, et va jusqu’à nous livrer son propre Fils, afin que, accueillant en nous sa mystérieuse présence, nous nous laissions à notre tour enfanter comme Fils de ce Père qui ne cesse de nous désirer.

Notre Dieu est tout entier appel.  Ce n’est pas un Dieu de dressage, pour reprendre une idée du philosophe Henri Bergson.  C’est un Dieu du vent du large, un Dieu des intuitions créatrices et audacieuses, un Dieu de la vie et du mouvement.  Il n’aime pas, oserai-je dire, ce qui est figé.  Mais s’il est appel, cela signifie aussi qu’il ne fait rien sans nous.  Il nous donne place dans son projet qu’il nous invite à construire avec lui.  Il ne nous remplace pas.  Et en ce sens, nous prenons conscience que l’entrée dans le « moment messianique » que Jésus est venu inaugurer, ne peut se faire sans nous.  Nous sommes porteurs des intuitions de Jésus, c’est grâce à nous qu’elles opèrent encore aujourd’hui, parfois très discrètement et parfois de manière très visible, mais toujours, elles contribuent à rendre plus proche ce moment attendu, où la Parole de notre Dieu pourra librement se déployer, au milieu d’une humanité pleinement réconciliée.

Voilà le chemin où marche Jésus.  Et nous pouvons nous mettre en route avec lui, à notre rythme, à notre façon.  Pour ma part, je ne le vois pas comme une chaussée qui vise la planète des bonheurs artificiels et fabriqués d’avance, une sorte de Las Vegas spirituel.  En réalité, il nous laisse plutôt le champ libre pour risquer l’aventure de l’invention d’un monde nouveau.  Le chemin que Dieu propose n’a pas d’objectif prédéfini.  Mais il offre des perspectives.  Lorsque Dieu invite Abraham à tout quitter et à partir vers une autre terre, il ne lui dit pas où aller.  Mais Abraham sait d’où il vient.  Cela suffit, apparemment, pour que la route qu’il entreprend ait du sens.  J’aime bien ce proverbe africain :  « Si tu ne sais pas où tu vas, sache au moins d’où tu viens ».  La Bible n’est pas un livre de recettes qui détermine le point d’arrivée.  Ou alors, peut-être que le point d’arrivée est déjà tout entier dans le point de départ ?

Jésus n’est pas comme un roi qui ordonne à ses sujets :  « Allez à Emmaüs ! », ni, à la fin de l’histoire :  « Retournez à Jérusalem ! ».  Mais sur le chemin de leur tristesse, il s’approche de ses disciples et leur cœur devient brûlant.  C’est peu de chose, c’est même banal, et pourtant, que faut-il de plus ?

Fr. Etienne Demoulin

Lectures de la messe :
Ez 34, 11-12.15-17
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
1 Co 15, 20-26.28
Mt 25, 31-46

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