Dernièrement, je lisais ces phrases dans un livre. Je les cite : « introduisez de la fiction dans vos vies ordinaires. Ne prenez pas votre vie au pied de la lettre mais racontez-là autrement. Changez le mode d’emploi de votre vie. Regardez les choses autrement. »
J’en étais là et voici qu’il me fallait faire l’homélie du 28e dimanche du temps ordinaire et l’évangile d’aujourd’hui est une parabole. C’est une fiction, une histoire inventée par Jésus. Alors, me disais-je, « introduisez de la fiction dans vos vies ordinaires », c’est le moment.
Et si on essayait avec la parabole racontée par Jésus dans notre évangile.
Il faut d’abord remarquer que Jésus raconte cette histoire dans son contexte à lui : il parle, il agit, il rencontre des gens, il remet en cause et cela ne plaît pas à tout le monde, cela dérange. Jésus perçoit la violence monter. Il va avoir des ennuis. Cela transpire dans la parabole qu’il raconte.
Son contexte n’est plus le nôtre et lorsque nous écoutons cette histoire, nous nous demandons : mais qu’est-ce qu’il veut dire ? Qu’est-ce que c’est cette histoire de noces où l’on doit inviter les bons et les mauvais, aller aux carrefours et inviter le tout-venant pour remplir la salle ? Et, en plus, cette expulsion manu militari d’un invité qui n’a pas le vêtement ad hoc. Nous nous demandons : mais qu’est-ce que nous pouvons faire avec tout cela ?
Ce que nous constatons d’abord dans cette narration, c’est une invitation. Il y a un appel à venir à la noce. La noce ? Serait-ce l’idée d’entrer dans ce qui renouvelle la vie, la recommence, la relance. Faire alliance au lieu de rester dans son coin. Seulement on voit que cette nouveauté dérange, il y a des refus. On n’en tient pas compte, on va à son champ, à son commerce, on reste dans ses plis.
Mais ce qui est fortement souligné dans la parabole, c’est que cet appel résiste, il tient le coup, il n’est pas empêché : l’appel à venir aux noces, à la vie neuve l’emporte sur les refus et sur la violence, il persiste malgré les refus et la violence.
Et on remarque que cet appel, il est vraiment pour tous, toujours, sans exclusion puisqu’il s’agit d’aller aux carrefours et d’appeler ceux qu’on trouve là. Dès le début, il nous est dit que les appelés du début sont bel et bien des invités. C’est donc gratuit. Cela ne dépend pas du rang que l’on occupe, de sa place sociale ni des mérites que l’on pourrait faire valoir. Pas du tout.
A partir de là, on pourrait se demander si cette parabole n’appelle pas notre regard sur ceci : il y a un appel, une invitation à faire un monde pour tous, qui ne se construit pas avec des inégalités et des exclusions mais donne place, donne de la place. Peut-être attire-t-elle notre attention sur un point aveugle de nos sociétés. Ce que nous ne voyons pas ou risquons d’oublier, c’est que le respect de la dignité, de l’humanité d’une personne n’est pas liée à ses compétences, ses réussites, son argent, ses mérites… Utopie que tout cela, dira-t-on ! Cette parabole cherche peut-être à nous faire refuser, à ne pas vouloir un monde qui ne repose que sur des inégalités. Et puis cet appel insistant qui ne se laisse pas abattre serait-ce un appel d’air dans nos vies ? L’invitation à ne pas laisser nos vies s’emprisonner chacun sur son champ ou dans son commerce. Ecouter autre chose afin de ne pas s’asphyxier : il y a du non-attendu à écouter, à recueillir. Pour nous tenir en état d’ouverture qui décloisonne, dé-fixe. La parabole réintroduit ainsi de l’appel dans nos vies. N’est-ce pas précieux ? Déjà sur un plan tout simplement humain, nous aimons qu’on nous appelle, que quelqu’un nous appelle durant la journée sans quoi nous avons le sentiment que notre vie perd du sens si personne ne nous appelle. Seulement la parabole nous rappelle qu’un appel, cela peut nous déranger, alors ça ne plaît pas. Cela dérange nos projets. Cela peut rendre violent. On en revient au début… .Quand on vous dit d’introduire de la fiction dans nos vies ordinaires.
Mais alors celui qui n’a pas le vêtement des noces et qui est expulsé ? Oui, tout le monde est appelé mais cela ne va pas sans un consentement, sans un changement consenti. Impossible d’être dans la musique de la noce si l’on n’adhère pas à sa nouveauté, à son renouvellement, son style. Pour être dans la noce, il faut changer de vêtement. Ce n’est pas une contrainte extérieure qui s’impose à vous mais la libre réponse à l’invitation.
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Is 25, 6-10a
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Ph 4, 12-14.19-20
Mt 22, 1-14