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Je dois vous dire que les trois petites paraboles que nous venons d’entendre, comptent parmi les textes évangéliques que je préfère. Elles semblent très simples, mais si je les regarde de plus près, elles ont l’art de susciter en moi un océan de questions qui ne cessent de s’entrechoquer, comme le flux et le reflux des vagues marines, frappant les falaises d’une côte sauvage et y creusant peu à peu de mystérieuses et fascinantes cavernes.

Toutes les trois parlent du « Royaume ». Mais remarquons qu’elles ne le définissent pas. Jésus nous dit : « Le Royaume est comparable à… » De la sorte, il nous ramène à une expérience qui veut nous apprendre à reconnaître ce fameux Royaume, et à en saisir la nature par un toucher, non par une explication. Le Royaume se vit. Il ne peut se laisser enfermer dans une théorie ou dans une définition. Jésus nous confronte à l’énigme de son Royaume, et nous oblige, si nous lui faisons confiance, à sortir de nos idées préconçues. Car, bien sûr, nous savons ce qu’est un royaume. Nous venons d’en célébrer la fête, par exemple. Mais s’agit-il bien de la même chose ? Où Jésus veut-il nous conduire ? Qu’a-t-il dans le cœur lorsqu’il nous parle du Royaume qu’il vient inaugurer ? Que veut-il nous faire goûter de ce Royaume qu’il annonce avec tant d’insistance ?

Regardons d’un peu plus près les trois paraboles qu’il nous offre aujourd’hui. Qui sait, peut-être allons-nous faire un pas de plus sur le chemin qui nous rapproche de la frontière de ce Royaume étrange où Jésus nous invite à entrer ?

Le Royaume est donc comparable à un trésor caché dans un champ. Il ne s’agit pas seulement d’un trésor, mais d’un trésor caché, et d’un trésor caché dans un champ. Comment l’homme a-t-il pu le découvrir, s’il était caché ? Qu’a-t-il donc vu, qui lui a fait penser qu’un trésor se cachait là ? Et puis, cherchait-il un trésor ? Car enfin, si le trésor était bien caché et qu’il ne le cherchait pas, aurait-il fait attention aux signes qui auraient révélé que là se trouvait un trésor ? Comment l’homme regardait-il et que regardait-il ?

Le trésor est là, il est caché et il attend. Dans quel champ est-il caché, dans quelle terre d’humanité ? Le champ d’argile humaine que l’homme a reçu mission de travailler lorsqu’il fut envoyé hors du jardin d’Éden ? Le champ du monde de la parabole du bon grain et de l’ivraie ?

Et voilà que l’homme découvre le trésor. Bon, alors il va le prendre, n’est-ce pas ? Mais non ! Il le remet dans le champ. Il est fou, cet homme-là ! Et si quelqu’un passait après lui et découvrait à nouveau le trésor ? Pourquoi le remet-il dans le champ ? Quel lien y a-t-il entre le trésor et le champ, pour que l’un n’aille pas sans l’autre ?

Dernière étape : l’homme vend tout ce qu’il possède et achète le champ. Et je me souviens du récit du jeune homme riche, à qui Jésus demande également de vendre tout ce qu’il a, pour se constituer… un trésor dans le ciel. Donc, la valeur de ce champ qui cache un trésor (enfin, presque :   désormais, l’homme sait ce que contient le champ), est telle qu’elle mérite qu’on lui donne tout. Et nous, quel trésor et quel champ ont-ils une valeur telle que nous serions prêts à tout donner pour eux ? Et si je ne suis pas prêt à tout donner, s’agit-il bien du Royaume dont parle Jésus ?

Pour beaucoup de commentaires, la seconde parabole raconte la même chose, mais avec d’autres images. Je ne suis pas d’accord. Suivons bien le texte : Jésus ne dit pas que le Royaume est comparable à une perle, mais… à un négociant à la recherche de perles fines. Nous découvrons ce que peut être le Royaume en regardant cet homme-là, ce négociant, qui cherche cette perle –LA perle- qui donnera sens à sa vie et pour laquelle il vendra sans hésiter tout ce qu’il a. Et qui lui a dit qu’en vendant tout ce qu’il a pour cette fameuse perle, il va faire une bonne affaire ? C’est sans garantie, me semble-t-il, qu’il risque ainsi tout son patrimoine, sans aucun contrat d’assurance.

Tout homme à la recherche de la perle qui le convaincra qu’il vaut la peine de tout donner pour elle, cet homme-là est une parabole du Royaume. Mais ne contemplons-nous pas là l’image de notre Dieu, ce Dieu fou à la recherche passionnée de notre humanité, capable en Jésus de tout donner, jusqu’à sa vie elle-même, comme il le dira lui-même, pour ce qui a le plus de prix à ses yeux, ou plus exactement pour ce qui à ses yeux est sans prix ?

Et pour finir, le Royaume des cieux est comparable à un filet qui ramène de tout, qui ne fait pas le tri. Sans doute Jésus va-t-il parler aussi de ce qu’il faut garder et de ce qu’il faut jeter du produit de cette pêche. Mais la première image, celle qui s’impose, oserais-je dire, c’est ce filet qui est prêt à tout ramasser, qui n’est pas regardant, pour qui tout a la même valeur (on ne sait jamais). Il ne fait pas de différence entre un thon, une sardine, un homard, une crevette, une algue et même, peut-être, le caillou que la racine de l’algue a entraîné avec elle, et le sac en plastique qui traînait là. Tout ce qui vit dans la mer est bon a priori. Ce n’est qu’après qu’on va examiner ce qu’il faut conserver.

Car tout ne se vaut pas. Il est question de ce qui est bon et de ce qui ne vaut rien. Il est question de ce qui construit la vie, la nourrit, la déploie et la rend féconde, et de ce qui ne vaut rien, c’est à dire de ce qui ne vaut pas qu’on vende tout ce qu’on a pour l’acheter. Il est question d’exercer son jugement, il y a des choses à garder, et d’autres à jeter.

Mais attention. Tout ne se vaut pas, mais de quoi parle-t-on : des personnes ou des actes ? Je voudrais ici reprendre ce que nous disait notre frère François la semaine dernière : nous ne sommes pas maîtres du jugement. Donnons la main à notre Dieu, qui certes vient révéler la faute, mais qui vient ainsi ouvrir un chemin de conversion. Car à ses yeux de Père, chaque personne est précieuse. Il ne peut se résoudre à ce qu’un seul de ses enfants, même le pire, soit considéré comme perdu.

C’est ainsi que je me permets d’interpréter la fameuse fournaise où les anges vont jeter les méchants, avec des pleurs et des grincements de dents : je ne la vois pas comme un lieu de condamnation, mais de transformation. C’est un haut fourneau, qui traite un minerai plein de scories à éliminer, pour qu’en sorte le bon alliage qu’on attendait. Les organistes savent cela : car la beauté du chant d’un tuyau dépend de la qualité du métal d’orgue dont il est fait. Alors, comme disait encore notre frère François, laissons les anges faire leur travail…

Fr. Étienne Demoulin

Lectures de la messe :
1 R 3, 5.7-12
Ps 118 (119), 57.72.76-77.127-128.129-130
Rm 8, 28-30
Mt 13, 44-52

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