Jésus voulait que l’Évangile, ça continue ! « Je suis venu apporter le feu sur la terre », avait-il dit. Pas un feu de paille. Mais comment prendre sa suite ? S’il voulait que l’on fasse mémoire de lui, que devait-il faire pour cela ? Il fallait un rituel. C’est nécessaire si l’on veut faire mémoire. Et les gens ont besoin de rites, ils y sont attachés : on va devant le maire pour se marier, on se passe un anneau au doigt pour dire qu’on se marie. Quand on a 65 ans, en Belgique en tout cas, on fait la fête parce que l’on est maintenant un retraité. Le petit prince voyait juste : il faut des rites, disait-il.
Jésus connaissait la liturgie du Temple et ses rituels mais finalement il ne l’avait pas vue d’un bon œil sauf pour louer la piété d’une veuve. Jésus prend donc une autre voie.
Ce qu’il voulait, c’était rester dans la ligne de l’Évangile. Mais il n’avait rien écrit, il n’avait laissé aucun écrit, aucun manuel. Alors il a réuni ses amis pour un repas. En quoi il se situe dans la ligne du repas juif de Pessah qui veut faire mémoire de la libération de l’esclavage en Égypte. Et puis, Dieu sait si dans les récits évangéliques les repas sont importants, décisifs. Il s’y passe quelque chose. N’avait-il pas mangé avec des pécheurs ? N’avait-il pas été volontairement chez des exclus ? N’avait-il pas accueilli la femme au parfum au cours d’un repas ? Et il avait aimé aller chez Marthe, Marie et Lazare leur frère. Son rite sera donc un repas, ce sera manger ensemble, partager. Et on s’en souviendra puisqu’on parlera du « repas du Seigneur » et, plus clairement encore, de « la fraction du pain ». Était-ce donc clair : Dieu est présent là où le pain est mis en commun et partagé. Et ce n’est pas rien si la fraction du pain renvoie à la vie donnée et non retenue.
Il y avait autre chose, ce geste que seul l’évangile de Jean relate : le lavement des pieds qui fait partie de l’institution de l’eucharistie. Reprendre l’Évangile de l’incarnation, c’est passer par un renversement du pouvoir, un pouvoir qui se penche, qui devient un service et se défait de la domination. C’est prendre soin de la vulnérabilité, du pied, qui aussi bien nous porte en avant, comme il peut nous faire trébucher. Le lavement des pieds donc, toute une parabole, à ajouter aux autres, qui ne cesse de nous redire que l’Évangile n’est pas un pieux message mais un prendre soin, une façon de sauvegarder l’humanité en nous et autour de nous.
Dans le livre des Actes des apôtres, lorsqu’il est question des fidélités des premiers disciples, on en énumère quatre : « ils étaient fidèles à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et à la prière ». Ce sont les quatre piliers de l’identité chrétienne en même temps que cela éclaire toute la dynamique de chaque eucharistie. Celle-ci est d’abord un lieu d’écoute de la Parole, une parole qui ne vient pas de nos conversations mais que nous recevons comme venant d’au-delà. Chaque eucharistie est aussi un lieu de communion fraternelle, qui vise à refaire du lien. Comment parler de communion si cela est restreint à la communion au corps du Christ ? La fraction du pain ne tient pas sans l’écoute de la Parole ni sans la fraternité augmentée. Elle est aussi un lieu de prière à la fois communautaire et personnelle.
On peut penser que cette charpente de l’eucharistie est ébranlée lorsque les quatre éléments porteurs sont disloqués ou dissociés. C’est donc toujours à refaire …
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Dt 8, 2-3.14b-16a
Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20
1 Co 10, 16-17
Jn 6, 51-58