« Ce jour que fit le Seigneur est un jour de joie, alléluia ». L’eucharistie du matin de Pâques est la plus importante de toute l’année liturgique. La résurrection, ce n’est pas simplement l’article central de notre foi. Sans elle il n’y aurait pas de foi chrétienne. Saint Paul le proclame clairement : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi ». (I Cor 15, 14).
« Jésus qui a été mis à mort, Il est vivant, nous en sommes témoins ». C’est le cri de la foi au matin de Pâques. Cela a commencé par un murmure qui s’est transmis de bouche à oreille et qui s’est amplifié irrésistiblement à travers l’espace et le temps jusqu’à nous. Et la joie a grandi dans la mesure où ce que chacun avait vécu était partagé, car l’expérience personnelle a besoin de s’appuyer sur celle d’autres croyants.
Mais, quelle fut l’expérience des apôtres et de Marie-Madeleine ? Comment Jésus ressuscité leur est-il apparu ? Dans l’évangile de St. Jean, Marie-Madeleine témoigne simplement : « J’ai vu le Seigneur » ; elle ne dit pas : « le Seigneur est ressuscité » mais « J’ai vu ». La résurrection n’est pas une affaire de preuves incontestables mais de témoignages. Nous ne pouvons pas nous représenter ce qu’ils ont vécu. Mais ce qui est certain c’est qu’ils ont vécu une expérience qui les a bouleversés et qui les a transformés. Ils étaient accablés de tristesse, les voilà plein de joie ; ils étaient paralysés par la peur, les voilà remplis d’audace ; ils se taisaient et se cachaient et voilà qu’ils sortent au grand jour et proclament partout que Jésus est vivant. Notre foi pascale repose sur leur témoignage, confirmé par une multitude de croyants au cours des âges. Nous sommes de ceux dont Jésus a dit : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Nous sommes de ceux qui n’ont pas vu le ressuscité comme les apôtres l’ont vu, mais nous croyons en nous appuyant sur leur témoignage.
Et à notre tour, nous avons à prendre le relais, à témoigner que Christ est vivant. Mais pour cela il ne suffit pas de répéter un article du Credo car ce n’est pas cela qui va changer notre vie et qui nous rendra crédible. On peut croire sincèrement à l’évènement de Pâques, mais constater que cela n’a aucune prise sur notre vécu. La Bonne Nouvelle de Pâques doit nous faire vivre pour que nous puissions la proclamer de façon crédible. Il faut aussi que notre témoignage puisse s’appuyer, d’une façon ou d’une autre, sur une expérience personnelle et pas seulement sur le témoignage d’autrui.
Bien sûr, nous n’avons pas bénéficié d’une vision claire et lumineuse, comme les apôtres au matin de Pâques. Mais si nous regardons notre vie avec le regard du croyant nous pouvons y déceler des traces du passage du Ressuscité, nous découvrons des ouvertures fugitives sur ce monde de l’invisible et de la pleine lumière où le Christ nous précède. Pour cela il n’est pas nécessaire d’attendre des expériences mystiques, cela nous est donné le plus souvent dans l’humble quotidien.
Christian Bobin a écrit : « Tout ce que je sais du ciel me vient de l’étonnement que j’éprouve devant la bonté inexplicable de telle ou telle personne, à la lumière d’une parole ou d’un geste si pur qu’il m’est souvent évident que rien du monde ne peut en être la source ».
Saint Paul y insiste : « Si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n’est pas ressuscité ». C’est dire combien il est important, si nous voulons être contagieux de la joie pascale, que dans notre expérience humaine et spirituelle, nous ayons une relation spontanée et vivante avec les proches et les êtres chers qui nous ont quitté. Pourquoi hésiterions-nous à en parler comme de vivants qui nous attendent et avec qui nous restons en communion ? Pâques nous dit qu’une présence invisible est une présence réelle, même si elle est d’un autre ordre et sur laquelle nous n’avons aucune prise. C’est sans doute pourquoi c’est toujours avec émotion que nous chantons la longue litanie des saints, comme nous l’avons fait au cours de la célébration de cette nuit. Il y a peu, j’ai été touché en lisant ce qu’écrit Christiane Rancé dans son livre « En pleine lumière », quand elle rapporte les dernières paroles de sa sœur mourante : « Retiens tout, lui disait-elle, parce que tu devras tout me raconter lorsque nous nous retrouverons de l’autre côté du monde où est, j’en suis certaine, le paradis. »
En cette fête de Pâques, nous avons à reprendre conscience que le Christ a vaincu la mort et nous a fait le don le plus beau et le plus précieux : la vie éternelle. C’est la promesse, bien plus c’est la volonté de Jésus puisqu’il a dit : « Père, je veux que là où je suis, tous ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi. » (Jn. 17,24). C’est la seule fois dans l’évangile où Jésus dit au Père « je veux », et c’est pour que nous partagions sa joie pour toujours. Alors, on comprend pourquoi St. Benoît nous recommande de « désirer la vie éternelle avec toute l’ardeur de l’esprit ».
Pâques c’est l’occasion, surtout en ces temps de violence où les guerres et les catastrophes se succèdent, c’est l’occasion de renouveler notre espérance en la victoire de la vie. Et cette espérance se renouvellera chaque jour si nous veillons à développer notre faculté d’étonnement et notre capacité d’émerveillement qui nous permettent de reconnaître les signes du Ressuscité parmi nous.
Au début du carême, Frère Renaud nous invitait à noter chaque jour dans notre agenda quelque chose de la journée qui a suscité et réveillé notre désir de Dieu. Au cours de ce temps pascal, nous pourrions chaque jour noter une parole, un petit évènement, une rencontre qui a représenté pour nous comme une fenêtre ouverte sur le ciel.
Frère Bernard de Briey
Lectures de la messe :
Ac 10, 34a.37-43
Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23
Col 3, 1-4
Jn 20, 1-9