Priez pour ceux qui vous persécutent. Cette directive de l’évangile n’est pas la plus simple, mais il vaut sans doute la peine de s’y arrêter un peu. C’est d’abord un appel à la prière, qui retentit plusieurs fois dans la bouche de Jésus : Priez. Mais Jésus ne nous dit pas seulement de prier, il nous dit : Priez pour. En ajoutant cette préposition, il indique deux pistes.
Prier pour, c’est demander. On peut prier gratuitement, pour adorer, pour louer, pour rendre grâce. Mais la prière que Jésus nous recommande, c’est la prière de demande, l’intercession. À travers tous les évangiles, Jésus nous demande de demander. Tout l’enseignement de l’évangile sur la prière se concentre sur la prière de demande.
Et puis, prier pour, c’est le contraire de prier contre. Prier pour, c’est vouloir le bien de ceux pour qui on prie. Certes, leur bien, leur vrai bien, ce n’est pas toujours ce dont ils rêvent, ce dont ils ont envie, car ils peuvent avoir envie de ce qui leur fait du tort ou les détourne du chemin de leur vrai bonheur. Souvent, d’ailleurs, nous ne savons pas nous-mêmes ce qu’il faut demander pour les autres. Il est parfois préférable de laisser Dieu en juger et de lui confier simplement ceux et celles pour qui nous voulons prier. Je te confie mon frère, ma sœur, que ta volonté se fasse en eux, tu sais mieux que moi ce qui leur convient, mais en prononçant leur nom devant toi, je veux mettre à ta disposition tout l’amour dont je voudrais pouvoir les aimer.
Jusque-là, c’est assez simple. Mais Jésus n’en reste pas là. Priez, priez pour, priez pour ceux qui vous persécutent. Ce que je viens de rappeler de la prière de demande vaut aussi pour eux, pour ceux qui nous persécutent. Oh ! par bonheur, « persécuter » est souvent un grand mot. Si nous voulons évoquer tous ceux – et celles ? – qui nous persécutent, au sens fort de ce terme, la plupart d’entre nous doivent avoir assez vite fait le tour. Moi, par exemple, je n’ai pas le sentiment d’être persécuté. Mais sans aller jusqu’à la persécution, certaines personnes de notre entourage peuvent nous faire du tort, nous faire souffrir, nous blesser. Et je ne parle pas ici des petits agacements quotidiens, qui ne nous empêchent pas d’aimer nos voisins, pour qui nous pouvons prier sans héroïsme. En mentionnant ceux qui nous persécutent, l’évangile évoque les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, nous sont hostiles, nous nuisent, nous privent de paix, posent des obstacles sur notre route. Ou nous ont arraché un être cher. Et c’est pour elles, en leur faveur, que Jésus nous dit de prier. Ce n’est pas toujours facile.
L’évangile nous demande-t-il l’impossible ? Cherche-t-il à nous prendre en défaut ? À nous décourager ? Certainement pas. Mais il nous appelle à considérer que les autres ne se réduisent pas au mal qu’ils font, en particulier au mal qu’ils nous font. Les pires d’entre eux ne sont pas absolument mauvais. Ils ont tous, plus ou moins enfoui, plus ou moins couvert d’ordures, leur versant de lumière. Et c’est à ce titre qu’ils peuvent être au cœur de notre prière.
Il reste que, dans certains cas, il n’est guère possible de demander à quelqu’un de prier pour ceux qui le persécutent, quel que soit le degré de cette persécution. On se trouve parfois devant des personnes à qui on ne peut pas, décemment, demander de prier pour ceux qui les persécutent. Mais alors, il me reste un recours : je peux leur dire que, désormais, je prierai pour ceux qui leur nuisent. Parce que moi, qui ne les connais guère ou pas du tout, qui ne subis pas leurs travers ou leur malveillance, je pourrai prier en leur faveur, fidèlement, chaque jour, sans que cela me coûte trop. En effet, nous sommes le corps du Christ, nous pouvons faire ensemble ce que chacun, livré à ses seules forces, n’arrive pas à réaliser. L’oreille peut à l’occasion faire ce qui n’est pas à la portée de l’œil, le pied peut venir au secours de la main.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
Lv 19, 1-2.17-18
Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13
1 Co 3, 16-23
Mt 5, 38-48