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C’est avec une certaine émotion que je me tiens ici ce matin, anniversaire dimanche pour dimanche du décès de notre frère Manuel ; c’était aussi le 32ème dimanche de l’année liturgique, de l’année « B » toutefois. Heureuse coïncidence, vous l’avez entendu, c’est un Évangile plein d’espérance qui nous est présenté aujourd’hui et c’est dans l’espérance que nous pensons à lui et, peut-être, à d’autres proches qui nous ont quittés, récemment ou non.

Les textes de cette Eucharistie nous ouvrent au mystère de l’au-delà. Dans l’Évangile, les Sadducéens, qui réfutent la foi en la résurrection surgie en Israël au 2ème siècle (av. J.C.), comme nous le laisse entendre la première lecture, veulent tendre un piège à Jésus en tirant jusqu’à l’absurde la loi du lévirat selon laquelle un homme devait épouser sa belle-sœur en cas de décès de son frère afin de lui assurer une descendance. Et voilà qu’elle tombe veuve 7 fois, de qui sera-t-elle l’épouse dans le monde nouveau des ressuscités ?

Jésus répond en deux temps. D’abord, il donne raison aux Sadducéens contre les Pharisiens qui se font une conception matérialiste de la résurrection, assimilée à un retour à la vie terrestre. Non, dit Jésus, la résurrection n’est pas une copie de la vie d’ici-bas, l’autre monde est un monde autre, inimaginable et indicible. Dire que les ressuscités sont pareils aux anges, c’est dire qu’ils sont du côté de Dieu. Mais, comment ? Là est le secret de Dieu. La réflexion humaine s’arrête aux portes de la mort. Toute représentation est vaine et illusoire.

Seule, la confiance est de mise et c’est ce à quoi invite Jésus dans le deuxième pan de sa réponse. Face à ses détracteurs qui nient la résurrection, Jésus retourne à la source, à Moïse et au Buisson dit ardent. En évoquant le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, il rappelle la force et la fidélité de l’Alliance que Dieu a contractée avec son peuple en chacun des Pères.

Dieu associe Abraham, Isaac et Jacob à Son NOM, éternellement : « C’est mon Nom pour toujours », dit-il, comme si Son Nom ne pouvait se décliner seul et pour le temps terrestre seulement. Voilà, dit le frère François Cassingena-Trevedy [i], que « des hommes sont les titres honorifiques de Dieu, les compléments du Nom de Dieu. Dieu ne serait pas entier sans être le Dieu des hommes ». Quand on y réfléchit, c’est incroyable. Il faut être Blaise Pascal pour avoir compris cela lors de sa nuit de feu un soir de novembre 1654, lorsqu’il écrit son Mémorial et donne sa foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants. Ou Etty Hillesum qui, de l’enfer concentrationnaire, écrit dans son journal : Aide-moi, ô mon Dieu à ne pas te laisser éteindre en moi. » Comme si Dieu avait besoin des hommes pour être lui-même pleinement vivant. Adolphe Gesché avait une approche similaire : Dieu EST, disait-il, mais il appartient aux hommes de le faire EX-SISTER.

Ainsi la finale de l’extrait de ce jour : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » peut-elle prendre une nouvelle dimension et nous concerner déjà maintenant. Qu’est-ce qu’être vivant ? Ne serions-nous pas appelés à vivre ici et maintenant comme fils de la résurrection ? Quelqu’un me disait récemment : je ne sais pas si je crois en la résurrection, mais j’en vis !

Oui, lorsque la vie renaît ou rebondit, lorsqu’un pardon délie de la rancœur, lorsque l’ego fait place à la fraternité, lorsque la jalousie est évincée au profit du partage, lorsque lorsque… Alors, oui, le dynamisme de la résurrection est à l’œuvre. Mais vivre en ressuscité, n’est-ce pas aussi dépasser les peurs qui portent aux compromis sécurisants, dénoncer le mal qui déshumanise et retrousser ses manches pour faire advenir un peu du Royaume de Dieu ?

Vivre en ressuscité, c’est vivre en RESSUSCITANT, comme le Christ de l’icône de la Résurrection, où on le voit tirer par la main Adam et Eve, c’est à dire l’humanité, vers la Vie. Tirer vers la Vie, nous le pouvons, à notre niveau, à partir de qui nous sommes, pas par de hauts faits, mais par de petits gestes, des paroles qui font du bien, une attitude résolument fraternelle et empathique.

Je pense ici – et je terminerai par cette évocation- au roman de Metin ARDITI L’homme qui peignait les âmes. Il y met en scène un homme passionné d’iconographie, mais qui prend quelques libertés par rapport aux canons qui régissent l’art sacré des icônes, ce qui lui occasionne des ennuis, mais ce qui lui vaut aussi de découvrir sa vocation propre : peindre des visages de gens ordinaires et mettre en lumière leur part de divin, enfouie parfois dans la vilénie, la dispute ou la violence. Ceux dont il représente le portrait se réconcilient avec leur part belle, délaissée, et avec ceux dont ils s’étaient éloignés ou disputés.

Pour Even, notre peintre des âmes, « re-susciter » l’étincelle divine présente en l’être humain était une manière de faire gloire au Créateur, de le rendre davantage présent, vivant. J’ai vu en ce récit d’Arditi une véritable parabole à mettre en œuvre, chacun à notre manière…

[i] D’après François CASSINGENA-TREVEDY, La voix contagieuse, Homélies, XXVI, Le non et le Nom, p. 197
2 Metin ARDITI, L’homme qui peignait les âmes, Ed. Grasset 2021, Coll. Points P5568

Marie-Pierre Polis

Lectures de la messe :
2 M 7, 1-2.9-14
Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15
2 Th 2, 16 – 3, 5
Lc 20, 27-38

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