Ce n’est pas la première fois que le récit évangélique évoque des pauvres et des riches et ce n’est jamais de la même façon, comme s’ils devaient être figés dans une posture univoque : en bons ou mauvais.
La parabole racontée aujourd’hui veut nous conduire progressivement vers un point de compréhension, un point d’interprétation. Mais lequel ? On a l’impression qu’elle nous introduit dans un petit théâtre et sa scène où des personnages se montrent et des voix se font entendre. Tout un montage, même avec des personnages et des voix d’outre-tombe.
Ce qui nous est dit dès le départ, c’est que la richesse rend aveugle et sourd. Ce riche anonyme ne voit pas le pauvre qui est à sa porte, il ne l’entend pas. Seuls les chiens voient le pauvre. C’est une situation qui, bien entendu, est grosse de violence : le luxe étalé et les festins avec les restes jetés à la poubelle. Ici elle n’est pas décrite mais, nous le savons, cette violence ne peut être sous-estimée. Et on peut imaginer le discours des riches souvent répétitif : « c’est comme ça et on ne peut rien y changer ». « Et s’il y a des pauvres, eh bien, c’est parce qu’ils ne changent pas, ils ne changent rien à leur sort ». Il est clair que tout est fait pour verrouiller le système, le cacher. On peut alors se dire, et c’est sans doute la conclusion qui est tirée par beaucoup : il n’y a pas d’avenir. Et sans doute que la parabole prend en charge cette question : mais par où est donc l’avenir ? Comment s’en sortir ?
Avec réalisme, la parabole redit, ce qui est dans la sagesse des nations, que la mort est une implacable fin de partie. Elle bouleverse la donne. On a l’impression que les rôles sont redistribués. La mort crée un fossé, un nouveau fossé, qui ne permet ni aux vivants ni aux morts de se visiter. On voudrait croire que l’au-delà peut nous faire signe, nous envoyer de bons signes mais en est-il ainsi ? Le riche aimerait aussi que l’on prévienne ses cinq frères et il va jusqu’à demander qu’un ressuscité puisse venir témoigner auprès d’eux. Mais là on est encore dans l’imaginaire… La mort ne va pas et ne peut pas arranger les choses, abolir les fossés. Ce que nous avons à découvrir est dans la ligne de tout l’Évangile. Le seul possible, pour changer les choses, doit être trouvé dans cette vie-ci. Et les Écritures nous sont données pour cela, pour nous éveiller, nous garder éveillés à ce qui peut être fait ici-maintenant. La résurrection ne nous donne pas prise sur l’au-delà. Elle vient de Jésus le Ressuscité pour faire que les vivants soient des vivants revenus de la mort, des éveillés aux signes des temps qui sont sur leur route. On pourrait croire que la parabole met en scène une rétribution finale : récompense des bons et punition des mauvais. Ce qui est peut-être une vengeance déguisée. Nous dit-elle cela ? Ou bien que l’enfer a déjà lieu lorsque les pauvres n’ont d’autres possibles que d’être mis à la porte.
Que pouvons-nous donc retenir de cet évangile écouté aujourd’hui ?
1/D’abord que Dieu est du côté des victimes, qu’il prend leur parti et invite à lui emboîter le pas. Pour autant il ne met pas le paletot de la revanche.
2/L’avenir du monde n’est pas dans un au-delà construit de toutes pièces par notre imagination. Il faut faire de l’au-delà un ici-maintenant.
3/Nous ne sommes pas sans recours : les paroles de vie des Écritures et la présence parmi nous du Ressuscité qui nous garde de laisser se creuser des gouffres et de faire du monde un enfer. Le Ressuscité qui nous dit d’inventer un monde autre. Nous en avons les possibilités, nous en avons les compétences.
Fr. Hubert Tomas
Lectures de la messe :
Am 6, 1a.4-7
Ps 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10
1 Tm 6, 11-16
Lc 16, 19-31