Ce dimanche, vous aurez deux homélies et non pas une. La première est celle que Fr. Renaud m’avait envoyée avant de partir à Rome. La seconde est celle que René Rouschop a prononcée.
Les histoires tissées avec le fil du pardon manifestent souvent leur enracinement en plus qu’elles-mêmes. Le don est encore de l’ordre du naturel, mais le pardon nous ouvre à un ailleurs qui nous dépasse.
Nous avons entendu dans l’évangile le récit d’une brebis qui se sépare du troupeau et qu’on dit perdue, celui d’une pièce d’argent tombée de la bourse et qu’on dit perdue, celui d’un fils qui quitte la cellule familiale et qu’on dit prodigue, parce que, non seulement, il va se perdre, mais en plus, il gaspille les biens de son père, réclamés avant l’heure.
On pourrait dire naïvement que ces textes nous apprennent d’abord que le demeurer ensemble dans l’harmonie semble chose difficile. Vous connaissez sans doute la fable philosophique des porcs-épics qui vivent ensemble : tantôt ils s’éloignent du groupe par curiosité et goût de l’aventure, mais bien vite ils ont froid et se souviennent de leurs congénères auprès desquels ils pourront se réchauffer, mais comme ils se rapprochent trop les uns des autres, ils se blessent de leurs piquants dorsaux. On voit bien ce que donne la métaphore pour un groupe humain. D’ailleurs au dictionnaire, un porc-épic est aussi une personne irritable et revêche.
En vérité, un élément vient bien vite rompre le goût d’être ensemble : le péché. Mais qu’est-ce qui fait qu’on pèche ? La peur, l’ennui et souvent l’impatience. L’impatience est le début de l’idolâtrie, disent les sages. C’est bien ce qui se passe dans la première lecture : » Ils n’auront pas mis longtemps à quitter le chemin que je leur ai prescrit ! », dit Dieu. Le veau d’or est le résultat de l’impatience. Les hébreux ne cherchent pas un autre dieu que Dieu, ils trouvent que Moïse tarde trop à descendre de la montagne et prennent les devants pour donner une forme et un visage à Celui qui les a sauvés. En cela, ils ratent leur cible, ils sont impatients et ils pèchent. Notez que Dieu lui-même risque de tomber dans le panneau lui aussi et l’impatience risque de lui faire commettre l’irréparable dans sa colère. Mais il est Dieu quand même et il se reprend, il se remet dans la patience de l’être et du devenir, du temps nécessaire à la conversion. Ce sera l’attitude du père de la parabole devant son fils impatient de recevoir son héritage et de vivre selon ses vues. Ce père le laisse se perdre dans l’espérance qu’il puisse se trouver. Son amour est capacité d’attendre que l’autre advienne à lui-même. Abraham cité dans la première lecture n’avait pas fait cela; il était prêt à sacrifier son fils pour maîtriser encore son destin.
Dans la seconde lecture, Paul reconnaît lui aussi avoir été impatient et violent, deux choses qui vont de paire. Mais il a fait l’expérience inouïe du pardon donné personnellement par le Christ. Il le dit et le répète : Le Christ Jésus m’a pardonné. Et ainsi il peut témoigner que le Seigneur est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. Mais qu’est-ce qu’être sauvé ? C’est faire l’expérience d’une puissance, d’une parole qui envahit sa vie, modifie son existence et donne sens à ses actions, en un mot le sauve.
Quel contraste entre ces deux versets : » Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. » Et » Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. »
D’une part, l’indifférence, de l’autre, un amour inconditionnel. D’une part, la désolation et l’abandon, de l’autre, la joie de la réconciliation. Mais pour réaliser ce passage, il a fallu une prise de conscience, une sortie de l’ignorance, une décision et une action : » Je me lèverai et j’irai vers mon père. » Et surtout il a fallu une parole : » Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. »
Et la réponse est la même dans la parabole comme dans la vie de Paul : » Il m’a estimé digne de confiance. » Ce cadeau inestimable de l’effacement des fautes est couronné par trois dons : les sandales, l’anneau et le vêtement de fête. Les sandales rappellent Moïse au buisson ardent : » Enlève tes sandales, car la terre que tu foules est une terre sainte. » Cela veut dire : connecte-toi par la plante de tes pieds à ton expérience humaine et découvre que J’étais à tes côtés, que Je suis là et que Je serai avec toi comme un Père. Et, dans la parabole, on imagine le père laver les pieds de son fils et protéger de sandales cette peau qui s’est frottée à mille obstacles et poussière pour retrouver le chemin de l’ignorance à la lumière. Le fils reçoit aussi l’anneau de l’alliance. Il est rétabli dans sa dignité de fils et il explique qui est le Père. Et enfin le vêtement de fête est la vie dans l’Esprit Saint et ses fruits : amour, paix, joie, patience, longanimité, bonté, fidélité, douceur, tempérance.
Le long détour du péché nous a conduits finalement à entrer dans la danse du Dieu Trinité.
Fr. Renaud Thon
La Bonne Nouvelle de la miséricorde
Il y a une nouvelle surprenante dans la Parole de ce dimanche : Dieu a perdu ! On a l’habitude de le voir gagnant à tous les coups, depuis la création jusqu’à la résurrection, mais aujourd’hui il perd tout. Au pied de la montagne du Sinaï, quand Moïse redescend avec les tables du Décalogue, le Seigneur a perdu ce peuple à la nuque raide qui s’est fabriqué un autre dieu : un « veau en métal fondu » – un Dieu-Argent somme toute… ça nous parle encore aujourd’hui…
Dans l’Évangile, les trois histoires que Jésus invente mettent chacune en scène des perdants, qui sont censés représenter Dieu : le berger perd une brebis, la ménagère a perdu dix pour cent de son argent, et le père de famille a perdu le plus jeune de ses deux fils ! On peut même se demander si le grand apôtre missionnaire Paul n’a pas aussi été perdu, lui qui se déclare « autrefois blasphémateur, persécuteur, violent »… et, d’après plusieurs témoignages, cela est vrai !
C’est une image catastrophique de Dieu qui nous est montrée là : un Dieu qui perd tous ses moyens, qui n’arrive pas à maîtriser ce monde qu’il a fabriqué et ce peuple qu’il a choisi pour se faire connaître aux hommes… Voilà justement la question, et la raison pour laquelle Jésus rencontre l’opposition des pharisiens – les meilleurs pratiquants de sa religion -, et celle des scribes – les spécialistes de l’Écriture Sainte. Eux croyaient savoir qui est Dieu, et il n’est pas possible que ce Dieu-là se mette à table avec des voleurs et des prostituées. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les pharisiens et les scribes récriminaient contre Jésus parce que cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux.
Dès lors, le Dieu que Jésus révèle est un tout autre modèle. Il n’est pas un propriétaire qui contrôle tout, un juge qui punit, un père qui renie ses enfants. Il est le Dieu de miséricorde, celui que l’évangile de Luc nous présente, un peu avant ce chapitre 15, comme celui qui nous invite à aimer nos ennemis et à être miséricordieux comme votre Père est miséricordieux, ainsi vous serez les fils du Très-Haut. Le Très-Haut s’est donc fait le Très-Bas, selon le mot très juste de Christian Bobin. Le Père a perdu son Fils qui est parti loin de la maison des Cieux pour rejoindre la terre lointaine et y mourir de soif sur la croix après une trentaine d’années. Mais le fils qui était mort est revenu à la vie, il était perdu et il a été retrouvé le troisième jour : il faut faire la fête ! Réjouissez-vous avec moi, dit le berger qui a retrouvé sa brebis, réjouissez-vous avec moi dit la femme qui a retrouvé sa pièce d’argent, réjouissez-vous avec moi dit le père à son fils aîné, celui qui boude la fête au retour de son petit frère débauché. Voilà la parole digne de foi : Dieu se réjouit quand nous venons à lui, surtout quand nous revenons après nous être égarés. Jésus nous dit qui est Dieu : le miséricordieux. Voilà la bonne nouvelle d’aujourd’hui !
L’eucharistie que nous célébrons n’a rien d’un grand festin de noces ou d’anniversaire : un peu de pain, un peu de vin…mais c’est le Seigneur lui-même qui s’invite et nous invite à sa table, nous les publicains et les pécheurs. A moins que nous choisissions le camp des scribes et des pharisiens, sûrs de nos connaissances et de notre bon droit. Cependant, si nous voulons être vraiment les fils du Très-Haut, il nous faut devenir miséricordieux comme lui.
« Dans les paraboles de la miséricorde, écrit le pape François, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un père qui ne s’avoue jamais vaincu…Dieu est toujours rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi » (citation)
Cela, c’est vraiment une bonne nouvelle ! Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau !
Abbé René Rouschop
Lectures de la messe :
Ex 32, 7-11.13-14
Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 17.19
1 Tm 1, 12-17
Lc 15, 1-32