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Chers frères et sœurs,

Parler d’unité aujourd’hui, dans le contexte historique très lourd que nous connaissons, me semble particulièrement difficile. C’est à de telles occasions qu’on voit que l’appel insistant de Jésus à l’unité n’est pas si évident. C’est un vrai défi, ou, pour le dire autrement, un questionnement dont les ramifications touchent tous les aspects de notre vie. Faire l’unité en soi, autour de soi et en Dieu, cette démarche est au cœur de tout chemin monastique: de là provient d’ailleurs le mot « moine«  « μονος«  en grec que l’on retrouve dans plusieurs mots français (monolithe, monopole, monologue, etc.). Et cette dynamique n’arrive jamais à un aboutissement définitif : c’est le travail d’une vie, une histoire ouverte, et
paradoxalement, ce n’est pas une entreprise qu’on peut faire… seul ! Ne confondons pas unité et isolement … À quoi j’ajoute qu’unité et pensée unique sont deux réalités qui semblent s’accorder mais qui, je crois, s’opposent totalement.

À ce propos, j’aime beaucoup le commentaire que donne Pierre Trigano du « Notre Père« , et plus particulièrement, ce qu’il dit à propos du premier mot en hébreu de cette prière que Jésus nous a léguée: « Avinou«  « 
אבינו« .

« Ce mot est composé des lettre hébraïques aleph, beith, youd, noun et vav.
Nous pouvons l’approcher comme un motvalise en distinguant en lui le mot « anou« , qui désigne en hébreu le pronom « nous« , et au sein même des lettres composant ce mot, la particule « vi«  qui signifie « en moi« . Dès lors nous pouvons relire « Avinou«  « 
אבינו« , Notre Père, vi dans anou, c’est à dire le « en moi«  dans le « nous« . A partir de ce momentlà, le « nous«  de la communauté dans laquelle il nous est demandé de nous engager ne peut plus être un « nous«  despotique de société totalitaire qui exigerait l’annulation du moi, de l’existence personnelle de l’individu, dans une indifférenciation générale. La communauté fondée par ce Dieuamour n’est pas une société objective qui s’imposerait simplement de l’extérieur aux individus en les uniformisant. C’est une communauté qui reconnaît
sa richesse et sa nourriture dans la libre vie intérieure personnelle des individus, dans la relation spirituelle personnelle originale qu’ils établissent avec Dieu, avec la vie.

Inversement, l’individu est luimême naturellement inscrit au cœur du « nous« . S’il demeure enfermé dans son moi égocentrique, sa vie intérieure finira par s’étioler dans un fonctionnement rigide et étroit, privé de l’énergie vivifiante, de l’ouverture du cœur et de l’inspiration qu’amène toujours la libre association avec les autres.«  (1) L’unité divine m’apparaît donc comme une communion au cœur de laquelle les différences ont leur place. Je vais un peu plus loin: comme une communion qui appelle les différences, qui ne peut se construire sans elles, qui en a besoin, qui les aime et les chérit, qui les invite ensemble à dessiner comme les traits du visage de la Transcendance.

Tout ceci nous confronte à la douloureuse question des divisions entre Églises qui cependant se réclament toutes du même Jésus. Je n’ai pas la solution de ce qui reste une épreuve et une souffrance. Devonsnous dépasser nos divergences théologiques, par exemple, pour arriver à une formulation uniforme de l’expression de notre foi, ou devonsnous apprendre à faire dialoguer ces différences, qu’il nous faudrait voir plutôt comme les multiples portes d’accès à un unique mystère
portes d’accès à préserver soigneusement?

C’est cela qui pour moi a la priorité: comment construire avec Jésus une relation de confiance, pour qu’il continue aujourd’hui de nous faire découvrir la profondeur de la Parole et de l’appel de celui qu’il nous apprend à nommer « Père« , peu importe comment on comprend cela et comment on l’exprime. Finalement, ne pouvonsnous pas considérer nos traditions respectives comme des chemins convergents qui nous conduisent chacun à la demeure commune où notre Dieu nous
attend ?

Plutôt que des propriétaires de « la«  vérité, et plutôt que de réduire ce si grand mystère à un objet théologique, devenons des témoins d’une Parole vivante qui nous travaille et nous éveille. Alors, il devient possible de dialoguer, de nous rencontrer, de créer des liens d’amitié fraternelle et de nous laisser séduire par ce Dieu qui veut réunir autour de lui tous ses enfants, chacun avec son
caractère, « et nous lier en un«  (2). Cette unité de communion, cette unité polyphonique n’est pas autre chose que la ressemblance de ce Dieulà, Dieu d’Alliance, Dieu du jeu trinitaire, qui nous a créés à son image.
Amen.
Fr. Étienne Demoulin

(1) Pierre Trigano. Le « Notre Père », manifeste révolutionnaire de Jésus l’hébreu. Réel Editions, Saint Etienne 2010, pp. 2324
(2) Didier Rimaud, CNPL. Dieu qui nous met au monde, hymne pour la communion, cote C 1282. Chants notés de l’assemblée. Bayard Editions Lonrai (Normandie) 2001. Numéro 329.

Lectures de la messe :
Ac 7, 5560
Ps 96
Ap 22, 1214.1617.2
Jn 17, 2026
 

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