Durant le temps de Pâques, la liturgie nous propose d’explorer les différents textes évangéliques où il est question des rencontres avec le ressuscité. En d’autres termes, c’est ce qu’on est convenu d’appeler les apparitions de Jésus ressuscité. Plusieurs questions m’habitent depuis longtemps lorsque je retrouve ces récits. Il y a là quelque chose qui ne me paraît pas si évident, et je me demande : qu’ont-ils vécu, les témoins de ces moments privilégiés, pour qu’on nous précise, par exemple, que d’un côté, ils étaient remplis de joie, mais que de l’autre, ils doutaient ?
Les protagonistes de ces histoires, eux mêmes, ont des questions : pourquoi Jésus se fait-il voir à ses disciples, dira l’un d’eux, et pas au monde entier ? Cela n’aurait-il pas été plus facile, en effet ? Quant à moi, j’ajouterais volontiers que, tant qu’à faire, je ne vois pas pourquoi ces apparitions devaient se limiter à quelques témoins faisant partie du cercle des amis de Jésus, et pourquoi donc cela n’aurait pas pu continuer jusqu’à aujourd’hui.
Mais d’autres interrogations encore surgissent en mon cœur : savons-nous voir ? Avons-nous appris à voir le Ressuscité ? Peut-être continue-t-il à se montrer aujourd’hui ? Regardons-nous dans la bonne direction ? C’est comme ces prestidigitateurs qui attirent notre attention d’un côté de la scène pour faire apparaître le lapin qu’ils ont apporté sans que nous sachions comment ils ont procédé : magie ou illusion ?… Les Pères de l’Église nous invitent à apprendre à voir l’invisible. Car tout notre environnement a sa part d’invisible. Mais oui ! Les sentiments, les intentions qui nous habitent, les paroles qui nous construisent mais qui peuvent aussi nous détruire… Nos anges gardiens, qui peuvent se laisser repérer dans tant de choses si banales quelquefois… Peut-être même que la part la plus importante du réel échappe à notre vue directe, sans pour autant cesser d’être vraie, authentique, plus parfois que ce qui apparaît matériellement à nos yeux et que ce que nous pouvons palper de nos mains.
Où donc Jésus se laisse-t-il voir aujourd’hui ? Où se découvre-t-il, où révèle-t-il son être ? Où sa présence se rend-elle perceptible, et nous ferait-elle dire : « Il était bien là, même si je ne l’ai pas reconnu tout de suite ». Un peu comme les disciples d’Emmaüs. Où continue-t-il d’agir, où donc sa force, la puissance de son intuition créatrice, pour reprendre une expression chère au philosophe Bergson, se manifeste-t-elle, dévoile-t-elle son efficacité, sa capacité salvatrice ?
En présentant le problème sous cet angle, je me dis que beaucoup d’entre nous apporteraient une réponse aussi pertinente qu’originale. Je suis convaincu que chacun pourrait témoigner que, dans sa vie, quelque part, un jour, même fugitivement, mais intensément, une lumière a jailli et a ouvert une porte débouchant sur un chemin nouveau, cette sorte de chemin où, en découvrant la présence aimante de ce Dieu qui est au-delà de tout mais que Jésus nous invite à appeler « Père », nous recevons la révélation de qui nous sommes vraiment. Nous découvrons que nous sommes aimés d’un amour infini qui donne à nos vie un sens infini, son sens d’éternité, le seul vrai, en fin de compte.
Alors, la visibilité de Jésus est-elle un phénomène qui nous resterait extérieur ? Comme l’apparition du magicien qui sort de derrière son écran de fumée ? Et en quoi une telle manifestation nous concernerait-elle, d’ailleurs ? Cela satisferait sans doute notre curiosité et notre désir de sensationnel, soit, soit, mais ensuite ?
Ne s’agirait-il pas plutôt d’une expérience intérieure ? Et, entre parenthèses, ce n’est pas parce qu’elle serait intérieure qu’elle serait moins réelle. C’est peut-être même tout le contraire. Il faut préciser : s’il s’agit d’une vraie et authentique rencontre, la présence réelle de celui qui vient ainsi mystérieusement devant nous, ne peut que nous marquer, ne nous laissera pas intacts, changera quelque chose en nous, et donnera à voir également, autour de nous, comme par un effet de miroir, le reflet de Celui qui s’est ainsi approché. Dans la trace qu’a laissée cette rencontre, Celui qui est venu se découvre et devient visible. La vie de Celui qui est venu se rend perceptible. Celui qui est ainsi venu se fait proche. Dans le visage de qui en a été un jour ébloui, un autre Visage, par transparence, est révélé.
Pour ma part, un des lieux privilégiés de cette rencontre du Ressuscité, c’est l’Écriture. Là, Jésus continue de nous parler, de se manifester, de nous apparaître, véritablement. Ces vieux textes sont pour moi comme un écrin, où se cachent et se dévoilent une Parole toujours vivante et une Présence toujours active. Le lien avec Jésus se retisse, et par lui, avec ce Dieu de l’Alliance qui un jour a voulu joindre sa route à la nôtre et ouvrir la nôtre à la dimension de son être, et qui nous demande si nous voulons bien qu’il marche sur nos propres routes.
Au gré de ces chemins d’Écriture et de la Parole qui bruisse à l’intérieur des feuilles que l’on tourne, une vraie rencontre se donne et se structure, et se met à l’épreuve du réel, et construit la confiance, la confiance en ce Dieu-là et dans l’itinéraire paradoxal qu’il nous propose. Nous apprenons à le reconnaître aussi, partout, même là où on ne l’attendrait pas, et à le prendre par la main, dans l’exultation de l’Alléluia de Pâques.
Fr. Étienne Demoulin
Lectures de la messe :
Ac 5, 27b-32.40b-41
Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13
Ap 5, 11-14
Jn 21, 1-19
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