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Jeudi dernier, une personne est venue me partager le « mal-être » qu’il ressentait de se sentir possédée par une force qui lui était étrangère. Il se demandait comment en être libéré.

La guerre qui sévit aux portes de l’Europe est également l’expression des forces du mal qui nous échappent

Je crois que, dans ce contexte, l’évangile d’aujourd’hui peut nous donner une voie d’ouverture. Comme la longue marche du carême nous y invite, nous entrons déjà ce matin dans la passion du Christ. Jésus est ici directement confronté à des personnes qui veulent sa perte. En relisant le texte, nous voyons comment saint Jean pose bien la question du mal dont je parlais au début

Les scribes et les pharisiens amènent à Jésus une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ce sont eux qui prennent la parole les premiers en imposant à Jésus la présence de la femme dont ils espèrent une condamnation. Ils se servent de la femme pour objectiver un péché et provoquer Jésus: « et toi qu’en dis-tu? » Ils placent Jésus au pied du mur pour le coincer. – Et c’est le cas de le dire puisqu‘en entourant la femme, ils forment un mur autour d’elle (En effet, ou bien Jésus répond que la loi de Moïse n’est pas juste et dans ce cas il se situe en porte-à-faux avec la lettre de la loi, ou bien Jésus est d’accord avec eux et il condamne alors une coutume reconnue par tous –  Remarquons que leur cible se situe davantage dans la personne de Jésus que dans la femme adultère. Les pharisiens et les scribes veulent, en effet, faire perdre le prestige réservé à Jésus. Ils s’adressent à lui en disant maître, pour lui faire croire qu’ils reconnaissent sa valeur et pour mieux souligner son incohérence, le provoquer afin de le dénoncer. Jésus se trouve devant un dilemme: la loi ou le pauvre !

Ce mal dénoncé n’est en quelque sorte qu’un prétexte pour un plus grand mal qu’est l’échec de Jésus. Le texte se poursuit par ces mots: « Mais Jésus se baissant se mit à tracer du doigt des traits sur le sol. »

A la clameur et à la plainte des pharisiens, Jésus baisse les yeux sur le sol, il répond par le silence. Jésus écoute et ne se dérobe pas devant tout ce mal qui l’entoure. Que fait-il ? Prie-t-il pour les phari­siens, ou pour la femme ? Qu’écrit-il ? Nul ne le saura jamais. En tout cas Jésus semble éviter de s’emballer sur le problème pour régler le litige sur un coup de tête. Les lettres éphémères qu’il écrit sur la terre, ne sont-elles pas déjà la réponse à la question de la loi de Moïse, figée dans le passé ? Et ces traits énigmatiques, ne sont-ils pas un message secret que seule la femme serait capable de comprendre ? (on sait que souvent la femme a une antenne de plus pour décoder le silence des hommes !) Nous le voyons, la femme dite adultère ne se sépare pas de Jésus, elle entre dans une communion intime avec lui. Le message de Jésus est un message inter-dit (dit entre les lignes, dans le silence ou dans le blanc de la conversation ou le blanc qui sépare les mots d’un texte). Jésus rencontre la femme sur son propre terrain, celui-là même qui est foulé par les pauvres ou les pécheurs que nous sommes, il vient lui dire ou lui inter-dire la véritable loi. Le sol fragile et mouvant a bien remplacé la table rigide de la loi.

« Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit: ‘ Celui d’entre-vous qui est sans péché qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » On assiste à un retournement : les scribes et les pharisiens veulent dénoncer le mal et ils se retrouvent acteurs d’un mal qui les dépasse.

Les scribes et les pharisiens aveuglés par leur accusation, ne peuvent pas entendre (ou comprendre) ce que Jésus écrit. Ils restent braqués sur leur conviction que la femme doit être condamnée. « Alors Jésus se redressa. » Il se redresse pour mieux les voir et pour préserver la communion, malgré le conflit qui les sépare. Et devant cette énigme du mal, Jésus n’apparaît pas désemparé. Il les soumet, avec finesse, à un examen de conscience de leur passé personnel. Jésus ne contre pas le problème directement, il renvoie les pharisiens à la vérité, celle de leur vie, leur conscience. Puis­qu’ils sont incapables de com­prendre la nouveauté du message que Jésus écrivait sur le sol, ils se trouvent eux-mêmes enfermés dans leur certitude. En se retournant vers les pharisiens, Jésus ne les considère pas comme des coupables – en effet ce seront eux qui se jugeront d’eux-mêmes en quittant le cercle -, il les considère plutôt comme des victimes, ils sont victimes du système qui les manipule. Loin de chercher à répondre à leur place, Jésus leur demande d’appliquer la loi: « jette la pierre« . Mais Jésus ajoute quelque chose à cette loi: « celui qui n’a pas péché« .

« Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. »

Ici un tournant s’opère. Ceux qui entouraient Jésus comprennent, et tout en respectant le silence que Jésus leur impose, ils se retirent. Jésus vient de clôturer le procès des pharisiens. Il n’est plus question de la femme, ni du mal qui est en elle, c’est-à-dire du mal qui soi-disant était à l’extérieur des pharisiens. Ceux-ci comprennent qu’ils ne sont pas les maîtres du mal, mais les prisonniers. Malgré nous, le mal est en nous et la confrontation avec Dieu le met au jour. Et Jésus resta seul nous dit le texte. Il est seul. Une solitude vécue à cause du péché des autres. N’est-ce pas vers cette solitude que nous le voyons cheminer dans sa passion ?

Celle qui était perçue comme le bouc émissaire des observants de la loi ancienne nous introduit à la loi nouvelle, au Christ. Qui t’a condamné, qui à osé mettre le doigt sur ton péché? … « Personne, Seigneur », dira la femme. Personne n’a condamné la femme, le salut ici se substitue au péché. Le sujet de conversation n’est plus le péché ou la mort, mais la vérité. Personne ne l’a condamnée alors que tous avaient les yeux tournés contre elle et contre Jésus. Ensuite, elle appelle Jésus « Seigneur », cela veut dire qu’elle reconnaît en lui le sauveur. Parce qu’elle a osé être ce qu’elle était devant Jésus, il ne la condamne pas comme personne il dira : « ne pèche plus toi« . Il sépare le péché de la femme. Car le péché comme tel est bien condamné par Jésus. La femme se trouve libérée.

Jésus, au lieu de se braquer sur le mal commis, comme les scribes et les pharisiens au début du récit, déplace le regard vers le salut à vivre. Il déchire le péché pour laisser naître la vie, c’est à cette vie que Dieu nous appelle à renaître durant ce carême. Et la perspective du baptême de Lara, nous rappelle que le don de l’Esprit que nous avons reçu à notre baptême, n‘est pas qu’un souvenir lointain, mais une réalité à savourer aujourd’hui.

Fr. Pierre Gabriel

Lectures de la messe :
Ac 14, 21b-27
Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab
Ap 21, 1-5a
Jn 13, 31-33a.34-35

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