Homélie
Nous connaissons bien les béatitudes, mais nous sommes plus habitués à la version de Matthieu, qui en compte huit. Luc se contente de quatre et y ajoute quatre propositions contraires, que notre frère Jean-Marie appelait des malétitudes. Ce ne sont pas des malédictions, des souhaits de malheur. Pas davantage des menaces, des promesses de châtiment. Le mot grec qui est ici traduit « quel malheur » est simplement « ouaï ! », ce qui ne nécessite pas beaucoup d’explications. C’est un cri de douleur. Devant les riches, les repus, les goguenards, les satisfaits, Jésus crie sa souffrance. Et ce cri peut nous aider à bien comprendre, à l’inverse, la portée du mot que nous traduisons « heureux » : c’est un cri de joie, d’admiration. On serait tenté de traduire : « Hourra ! »
Quand on lit la Bible, on a souvent l’impression que l’humanité est divisée en deux catégories, les bons et les méchants, les justes et les impies, les brebis et les boucs, les bénis et les maudits… Ceux qui sont proclamés heureux et ceux qui désolent, ceux à qui on crie « hourra ! » et ceux qui arrachent un « ouaï ! » de douleur. Comme si la Bible était une simple invitation à bien choisir son camp.
En réalité, il n’y a pas de camp. Il y a des hommes et des femmes qui sont, jour après jour, capables du bien et du mal, du meilleur et du pire. Dieu désire partager avec tous et toutes sa propre joie. Il est heureux quand nous l’acceptons, il souffre quand nous préférons nous en écarter.
À ce propos, je voudrais m’arrêter un instant sur un détail du texte de Jérémie que nous avons écouté ensemble. Au sujet de l’homme qui se détourne du Seigneur, il est dit qu’il ne verra pas venir le bonheur. On peut comprendre que le bonheur ne viendra pas pour lui, que le bonheur est réservé à d’autres (encore que Jérémie n’emploie pas le mot « bonheur » quand il évoque ensuite l’homme qui met sa foi dans le Seigneur). Mais cela peut aussi vouloir dire que le bonheur vient pour lui comme pour les autres, mais qu’il ne le voit pas, qu’il passe à côté. Comme disent d’autres traductions, de façon plus univoque, il ne voit rien, il ne sent rien, il ne ressent rien quand arrive le bonheur. Le bonheur arrive bel et bien, mais passe inaperçu.
J’en reste là pour l’instant. Mais ne vous réjouissez pas trop vite. L’homélie est plus brève que de coutume, mais elle se prolongera bientôt dans la prière universelle, qui prendra son temps, et donc un peu le vôtre.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe
Jr 17, 5-8
Ps 1, 1-2, 3, 4.6
1 Co 15, 12.16-20
Lc 6, 17.20-26
Prière universelle
Nous venons de dire que nous croyons en Dieu. Pas seulement que nous croyons à Dieu, à son existence. Mais en Dieu. Nous mettons en lui notre foi, c’est-à-dire notre confiance. Jérémie nous a dit tout à l’heure que, moyennant cela, nous sommes bénis. « Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur. »
Mais Jérémie ajoute une expression un peu surprenante, inhabituelle : « Béni soit l’homme dont le Seigneur est la confiance. » Pouvons-nous dire que Dieu est notre confiance ?
Qu’il est la source de toute notre confiance ?
Il est en tout cas celui dont nous n’avons rien à craindre.
Dieu notre Père, tu te réjouis
des progrès de notre science et de notre technique
quand ils améliorent notre bien-être.
Mais tu cries de douleur
quand nous bâtissons notre confort
sur l’appauvrissement de franges de plus en plus larges de notre société,
quand nous construisons la richesse de nos régions
sur la misère croissante des pays les moins avancés.
Rends-nous solidaires de tous tes enfants, nous t’en prions.
Dieu notre Père, tu te réjouis
quand notre travail nous permet d’assurer notre subsistance et celle de nos proches,
quand notre niveau de vie nous offre de satisfaire nos aspirations légitimes.
Mais tu cries de douleur
quand nous sommes repus
et que cela nous empêche de creuser en nous le désir d’un au-delà.
Rends-nous affamés de toi et assoiffés de justice, nous t’en prions.
Dieu notre Père, tu te réjouis
de notre joie de vivre et de nos fêtes,
du bonheur des enfants comblés de tendresse et du plaisir partagé par amour.
Mais tu cries de douleur
quand notre rire exprime notre indifférence devant la peine des autres,
quand il participe à l’avilissement de ceux qu’on tourne en dérision.
Rends-nous respectueux de tous tes enfants, nous t’en prions.
Dieu notre Père, tu te réjouis
de nos réussites, du fruit de nos efforts,
de nos talents et de nos compétences.
Mais tu cries de douleur
quand notre succès auprès des hommes
montre que nous sacrifions à une mauvaise échelle de valeurs
et que nous sommes de faux prophètes.
Rends-nous témoins de ton évangile auprès de tous tes enfants, nous t’en prions.
Dieu, notre confiance, nous te prions sans inquiétude. Nous pouvons faire l’expérience de la sécheresse de notre prière. Mais nous croyons qu’avec ta grâce et à notre mesure, nous ne manquerons pas de porter du fruit. Nous mettons notre espoir en ton Christ, que tu as ressuscité des morts, non seulement pour cette vie, mais pour les siècles des siècles.