Quel évangile étonnant, détonnant, pour un 1er dimanche de l’Avent !
On s’attendrait à un texte plus réjouissant que ces oracles terrifiants, un évangile, bonne nouvelle, plus proche de l’idée spontanée que nous nous faisons de la période de l’Avent, faite de promesse, d’accueil, d’attente …
C’est le jour où l’on dresse la couronne de l’Avent et qu’on y allume la 1ère bougie. Ce n’est pas un geste banal, mais un geste rituel, initiatique. On entre dans le temps de l’attente, entre simple mémoire – Jésus est né il y a 2000 ans – et mémoire vive, c’est-à-dire, mémoire qui rend vivant aujourd’hui ce qui est célébré, qui l’actualise au sens fort du terme. En Jésus, Dieu est né au monde, mais il continue à naître en ceux qui s’ouvrent à lui et l’accueillent.
L’évangile qui nous est proposé semble à première vue loin de tout ça. En plus, il rappelle, avec des accents un peu différents, celui de Marc, son correspondant, lu il y a quinze jours, et commenté par frère Étienne. Comme le texte de Marc, celui de Luc est de registre apocalyptique ; comme lui, il évoque la fin des temps et le retour du Fils de l’Homme, images qui ne nous parlent guère, en tout cas spontanément.
Et pourtant … S’il apparaît apocalyptique dans le sens du langage courant, dans le sens d’un ébranlement général catastrophique – soleil, lune, étoiles, terre mer, tout y passe -, un écrit comme celui-ci doit être pris dans son sens premier de dévoilement, de révélation. En fait, il dépeint un temps de détresse, à la fin du premier siècle, dans lequel d’ailleurs, presque 2000 ans plus tard, nous pourrions nous retrouver : crise sanitaire, climatique, politique – nos démocraties sont malades – ou géo-politiques, l’équilibre du monde étant extrêmement fragile.
Ainsi, alarmant en première lecture, le texte de Luc se révèle au contraire encouragement, consolation pour ceux qui l’entendent. Il appelle à se redresser et à relever la tête, à ne pas se laisser gangréner par la désespérance ou enfermer dans la peur, à relever le défi de la vigilance et à se tenir prêt.
C’était déjà l’invitation de Jérémie. Alors que tout semble s’effondrer pour Israël – Jérusalem assiégée et temple détruit, déportation -, le prophète se fait le porte-parole d’Adonaï :
« J’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël,
je ferai naître un germe de justice, Juda sera délivré et Jérusalem en sécurité »
Bonheur, justice, paix : voilà ce vers quoi tend la promesse de Dieu, une promesse qui rencontre les désirs les plus profonds de l’homme, aujourd’hui comme hier.
Un monde craque, ou quelque chose de ce monde craque, mais du dedans même de ce craquement naît et peut encore naître du neuf, de l’inédit, de l’impensable. On l’expérimente parfois dans nos vies. On le voit aussi dans notre monde ou dans l’Église, où germent ci et là des initiatives, des démarches, des communautés porteuses de changement, de renouveau.
Bien sûr, que cela semble craquer de partout peut être douloureux, angoissant. On ne sait pas de quoi demain sera fait. On est pris de crainte pour les générations futures. Mais, n’est-ce pas là que se joue l’espérance ? Non dans une projection béate et désincarnée vers le futur voire l’au-delà, comme on la présente encore trop souvent, mais une espérance enracinée et engagée dans l’aujourd’hui de Dieu ; une espérance qui retrousse ses manches avec d’autres dans le terreau du monde pour le transformer ; une espérance encore, consciente que cet aujourd’hui connaîtra un demain et un après-demain assurés par d’autres, à leur manière et selon les exigences du temps.
Ce n’est pas facile à vivre dans un monde qui exalte l’individu et le résultat immédiat. Cela demande humilité et confiance, mais cela requiert aussi de tisser entre nous, dans une communion intégrée à la vie, des liens vrais et fraternels qui permettent de traverser les épreuves, digérer les déceptions, rester éveillé et, je cite, « avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver ».
Vivre d’espérance suppose que l’on soit adossé à cette foi au Dieu qui vient vers nous, à nous, en nous. Que ce soit l’Enfant-Dieu de la crèche ou le Fils de l’Homme qui revient dans la nuée et la gloire, il s’agit d’accueillir un Dieu amoureux de l’homme au point de désirer partager sa vie avec lui. Un Dieu qui n’en finit pas d’espérer en l’homme … En effet, si nous espérons en Dieu, Dieu espère d’abord en l’homme. La période de l’Avent est bien là pour nous le rappeler !
La seule condition de l’accomplissement du désir de Dieu de salut et de bonheur pour tous les hommes, c’est Paul qui nous la rappelle dans sa lettre aux Thessaloniciens : « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant. »
Marie-Pierre Polis
Lectures de la messe :
Jr 33, 14-16
Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14
1 Th 3, 12 – 4, 2
Lc 21, 25-28.34-36