Les liturgistes disent que nous sommes dans l’année B, l’année où l’évangile du dimanche, au moins pendant le temps ordinaire, est choisi dans la version de Marc. Mais c’est toujours la même chose : un beau dimanche de juillet, aux alentours du 20, Jésus invite ses apôtres à prendre un peu de repos. Marc ne se le fait pas dire deux fois, il s’accorde sur-le-champ cinq semaines de vacances, et c’est Jean qui assure l’intérim. Mais il le fait selon son génie propre, sans chercher à épouser les manières de Marc, sans chercher à raconter les choses comme Marc le ferait. Jean ne porte pas sur Jésus le même regard que Marc.
Juste avant de lui passer le relais, Marc nous a raconté comment Jésus s’est laissé surprendre par la foule, qui est allée l’attendre à l’endroit qu’il croyait désert. Ce n’est pas dans l’évangile de Jean que cela lui serait arrivé. Le Jésus de Jean sait tout, n’a pas besoin d’interroger. S’il le fait, Jean s’empresse d’ajouter qu’il connaît la réponse. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. Dans l’évangile de ce jour, le dernier qui est confié à Jean avant que la plume ne soit rendue à Marc, des disciples s’écrient : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Mais n’allez surtout pas imaginer que Jésus pourrait sursauter : Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Et Jean tient à préciser : Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.
Le Jésus de Marc est un homme proche de notre expérience, celui de Jean est un Dieu au pays des humains. Cela ne veut pas dire que Marc ne croie pas à la divinité de Jésus ni que Jean mette en doute son humanité. Non, mais leurs points de vue sont différents. Marc contemple jusqu’où Dieu s’est fait homme, Jean ne cesse de rappeler que celui qu’il a vu, entendu, touché, c’est la Parole de Dieu qui, dès le commencement, était Dieu.
Ces deux regards nous sont précieux.
François Varillon disait que l’essentiel de l’essentiel de la foi tient dans cet adage des Pères de l’Église : Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Eh bien, nous pourrions dire, en simplifiant un peu les choses, que Marc, Luc et Matthieu nous montrent comment Dieu s’est fait homme, à quel point il s’est rendu en tout point semblable à nous, et que Jean nous montre à quoi notre humanité est destinée. Nous avons reçu la vocation de devenir Dieu. En voyant vivre le Jésus des trois premiers évangiles, nous mesurons l’amour de Dieu pour nous, le sérieux de son incarnation ; en contemplant le Jésus du quatrième, nous voyons à quelle plénitude d’humanité nous sommes appelés.
Car c’est en devenant humain qu’on devient Dieu. Dieu seul est humain, en Dieu seul il n’y a rien d’inhumain. Nous n’avons pas à chercher des chemins de grandeur pour devenir Dieu, comme si nous étions capables d’imaginer en quoi consiste la divinité. Dieu se charge de diviniser ce que nous humanisons. C’est du même mouvement qu’on devient homme et qu’on devient Dieu.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
Jos 24, 1-2a.15-17.18b
Ps 33 (34), 2-3, 16-17, 20-21, 22-23
Ep 5, 21-32
Jn 6, 60-69