La faible force de la parole
Il y a quelque temps, une jeune adolescente s’est suicidée parce qu’elle ne supportait plus d’être harcelée continuellement sur ce qu’on appelle les réseaux sociaux. Ce fait tragique n’est hélas qu’une partie visible de l’iceberg d’injures, paroles galvaudées ou fausses nouvelles transmises sous le couvert de l’anonymat. Leur force de destruction entraîne rarement des conséquences aussi dramatiques ; ces mauvaises paroles peuvent néanmoins faire très mal. Et la bonne parole, comment est-elle reçue ?
Le prophète Ézéchiel s’adressait aux Juifs exilés à Babylone. Le Seigneur l’appelle pour leur porter un message d’espoir, malgré leurs infidélités à son alliance : ils ont le visage dur et obstiné, dit le texte, et il les qualifie d’engeance de rebelles. Il faut pourtant que la parole du Seigneur les touche, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, et qu’ils sachent en tout cas que parmi eux quelqu’un est ouvert à l’esprit de Dieu – le mot hébreu traduit par « prophète » a comme sens premier : l’inspiré …
Inspiré par l’esprit de Dieu, on peut dire que Jésus l’était. A la synagogue de Nazareth, ses concitoyens sont frappés d’étonnement par la sagesse qui lui a été donnée. D’où cela lui vient-il ? Et voici le défilé des préjugés : il n’est qu’un charpentier, on connaît trop bien sa famille, ses frères et ses sœurs … Ailleurs dans l’évangile (selon St Jean), on se demande : que peut-il sortir de bon de Nazareth ? Qu’est-ce qu’on aurait trouvé sur les réseaux sociaux en ce temps-là ? Faiblesse de la parole de Jésus quand elle est mal reçue, et force de la parole négative qui refuse l’altérité.
Saint Paul rencontre une autre forme d’opposition : celle qui vient non pas de l’intérieur de sa communauté, comme Jésus l’a expérimenté, mais celle qui vient de l’intérieur de sa personne. Une écharde dans sa chair, écrit-il, « un envoyé de Satan… pour empêcher que je me surestime ». Quel est cet obstacle ? Nous ne le saurons qu’au paradis, peut-être … C’est un ennemi intérieur que Paul demande au Seigneur d’éliminer, mais il lui a été répondu : « ma grâce te suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ».
Pour notre vie
C’est un admirable message qui nous est proposé aujourd’hui. En premier lieu, face aux multiples difficultés de croire et d’agir en conséquence, il nous tourne vers l’hôte intérieur que nous risquons trop souvent de négliger. « Le Christ ressuscité vient animer une fête au plus intime de l’homme », proclamait le frère Roger à Taizé ; une autre manière de traduire le prophète : « l’Esprit de Dieu est sur moi. ». Ou encore, ce que Paul répète sans cesse à ses destinataires : « l’Esprit qui habite en vos cœurs ». Avons-nous suffisamment conscience de cette présence de l’Esprit Saint, dont nous sommes marqués depuis notre baptême ? « Ma grâce te suffit », répond le Seigneur à l’apôtre qui se plaint de sa fragilité. Revenons à la source de la grâce présente en nous, quels que soient les obstacles qui lui résistent.
Ensuite, la Parole de Dieu nous est offerte pour la porter au monde. Ce qui veut dire que, comme Ézéchiel, nous avons d’abord à l’écouter. La faire nôtre, la découvrir toujours nouvelle, en goûter la sagesse qui étonnait les auditeurs de Nazareth, la partager autour de tables de la Parole, nous en nourrir pour pouvoir en communiquer la saveur … « Soyez toujours prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous », écrit St Pierre dans sa première lettre.
Enfin, conséquence secondaire mais très concrète de la Parole que nous venons de recevoir : soyons attentifs à nos propres paroles ! Même en face d’une engeance de rebelles, évitons les préjugés, les jugements définitifs et les paroles blessantes. Devant leur manque de foi, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant… Que notre foi soit forte, et notre témoignage humble et vrai.
Abbé René Rouschop
Lectures de la messe :
Ez 2, 2-5
Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4
2 Co 12, 7-10
Mc 6, 1-6