En suivant Jésus dans le récit évangélique, nous nous rendons compte que ce qui est finalement en jeu, c’est un conflit entre la puissance de vie et la puissance de mort. Qui va l’emporter ? L’expression qu’utilise Jean : « le prince de ce monde va être jeté dehors » est éclairante ainsi que le contexte : Jésus vient de ramener son ami Lazare à la vie et d’un autre côté, les autorités sont résolues à le supprimer.
Alors que des Grecs, probablement des juifs de la diaspora veulent voir Jésus, celui-ci s’écrie : « l’heure est venue », quelque chose de décisif arrive. Le Dieu de Jésus transcende les frontières et les répartitions pour se faire connaître au-dedans du cœur : le Dieu annoncé déjà par le prophète Jérémie. Dieu sensible au cœur, comme dit Pascal. Et Jésus va dans ce sens : il attire, comme il le dit, tous les humains vers lui et vers le Père. C’est un tournant décisif et il rejoint le vœu inscrit dans toutes les religions : une connaissance du divin qui ne vienne plus de l’extérieur, d’un savoir théologique ou de prescriptions morales mais du dedans.
C’est sous la forme d’une image que Jésus traduit son expérience : celle du grain de blé. C’est une image parlante. Elle dit à la fois la plante qui se reproduit parce qu’elle est enfouie dans la terre mais aussi le grain broyé pour faire la farine. Cette image est une parabole de plus pour exprimer le chemin pascal de Jésus.
Mais c’est aussi une image qui parle pour nous. En effet, à partir de cette image du grain de blé, Jésus met en lumière une logique de la vie. Celui qui veut garder sa vie et s’en faire une garantie, est-ce qu’il aime la vie ? Qu’est-ce que c’est aimer la vie, demande Jésus ? On peut l’aimer au point de refuser qu’elle ait une fin mais c’est là un chemin de mort, aux yeux de Jésus. Comme cela, elle va à sa perte. Il s’agit donc, sous la conduite de l’Évangile, d’entrer dans un autre rapport à l’existence : ou bien la vie se referme sur elle-même, veut se préserver coûte que coûte ou bien elle s’ouvre à ce qui rend vivant. Nous savons que ce n’est jamais chose faite.
Je reviens à l’expression mise par Jean dans la bouche de Jésus : « l’heure est venue où le prince, le chef de ce monde va être jeté dehors ». Mais quel est le chef de ce monde ? Dans les temps qui courent nous serions enclins à voir le covid’19 comme ce qui mène le monde : voilà un virus qui a réussi à mettre la planète à genoux, à bâillonner les gens, les confiner, les éloigner par des gestes barrières. Et pourtant le maître du maître, c’est la mort. Et c’est bien pourquoi la lettre aux Hébreux dit en clair que le grand cri de Jésus à son Père c’est pour être sauvé de la mort. Avec audace, la lettre aux Hébreux va jusqu’à dire que le Christ a été exaucé. Il a été sauvé de la mort donc. C’est étrange de parler ainsi car Jésus est bien mort, il est bien passé par la mort. Qu’est-ce qu’être sauvé de la mort ? Voilà une question à laquelle il nous reste à répondre.
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Jr 31, 31-34
Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 14-15
He 5, 7-9
Jn 12, 20-33
Prière :
Seigneur,
Comme les Grecs venus trouver Philippe dans l’Évangile de Jean, nous « voudrions Te voir ».
Te voir de nos propres yeux, te parler, écouter ta parole, te voir faire des guérisons, te toucher et nous laisser toucher par Toi. T’approcher dans ton intimité, être comptés parmi tes familiers.
Est-ce là un privilège réservé aux hommes de ta génération, ou encore à tes apôtres d’hier et d’aujourd’hui ?
Non.
Mais pour être exaucés il va nous falloir accepter de changer notre regard et purifier notre désir au creuset de ta Pâques.
Ton humanité va être jetée en terre comme une semence qui doit mourir afin de porter du fruit. Ton corps sera élevé sur la croix, et c’est de là que Tu pourras enfin attirer tous les hommes à Toi.
La veille, au soir du Jeudi Saint, Tu rompras le pain en signe de ta vie livrée, semence de vie éternelle pour nous et pour tous les hommes.
Donne-nous, Seigneur, de pouvoir faire ce passage de nos yeux de chair au regard de la foi. Donne-nous de Te suivre dans cet élan vers le Père qui nous arrache à nous-mêmes et crée en nous un cœur pur dans lequel Tu pourras – sans aucune violence – écrire ta Loi d’amour au plus intime de nous-mêmes.
Alors nous serons vraiment des vivants.
Pistes de réflexion pour la semaine :
Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur.
Nous sommes invités à passer de pratiques extérieures, rituelles, codifiées, tarifiées, à l’écoute de l’Esprit-Saint qui sans cesse nous fait nous ressouvenir des paroles et des actes de Jésus (Jn 14, 26), de sa profonde liberté, et nous indique comment l’incarner dans notre vie d’aujourd’hui. Il devient notre boussole intérieure, notre GPS spirituel qui adapte notre itinéraire en temps réel en fonction des circonstances et de ce que nous percevons dans nos rencontres.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu !
Loin d’un rafistolage, le Pardon de Dieu est une création nouvelle pour nous : Dieu nous veut créateurs comme Lui, co-créateurs avec Lui. Il ne s’agit par pour nous d’être des clones ni de pales copies de Jésus, Dieu nous rend cette liberté, cette spontanéité et cette ingéniosité pour le bien que le péché nous avait fait perdre.
Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance.
Jésus a vécu l’obéissance filiale jusqu’à descendre au plus profond de notre désespérance et de notre enfermement. Ici-bas, il n’y a pas d’amour véritable sans tourment, sans souffrance. Dès les tentations au désert, Jésus avait refusé le rêve de tout changer par un coup de baguette magique : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur Ton Dieu. » (Lc 4, 12) Et à Gethsémani, Jésus ne change pas de discours : « Père, non pas comme je veux, mais comme Tu veux. » (Mt 26, 39)
Là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.
« Le serviteur n’est pas plus grand que le Maître ». (Jn 13,16) En même temps, il n’est pas pour autant plus petit : « Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes, parce que je m’en vais vers le Père » (Jn 14,12) « vers mon Père et votre Père. » (Jn 20, 17) « Je m’en vais vous préparer une place. Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez vous aussi. » (Jn 14,3) « Là où je vais, vous savez le chemin. » (Jn 14, 3) « Je suis votre Chemin ». (Jn 14, 6)
Pierre Boland