Jésus bouge beaucoup dans l’évangile de Marc. Christian Bobin a joliment écrit à son sujet « l’homme qui marche ». Nous venons d’entendre une journée de la vie du Christ. Ce n’est pas une journée de manœuvre comme celles dont se plaint le vieux Job, mais c’est une journée bien remplie. Elle commence à la synagogue, comme tout bon juif le jour du sabbat. Puis on se retrouve avec les intimes chez les deux frères Simon Pierre et André. La belle-mère du premier est au lit. Forte fièvre. Contagieuse ou pas, Jésus la prend par la main et la fait lever – le même terme grec sera utilisé pour parler de résurrection. La voilà debout. Après le coucher du soleil, le sabbat est fini, on peut se mettre au boulot. La ville entière se presse, dit pompeusement saint Marc. Soit…même si Capharnaüm n’était pas un petit village, mais une cité cosmopolite au carrefour de routes très fréquentées. Bref toutes sortes de malades sont guéris.
Le lendemain, bien avant le lever du soleil, il se rend dans un endroit désert. Où est-il ? Que va-t-il faire ? Qui est-il donc ? Question qui va habiter le deuxième évangile jusqu’à la croix. Il prie. Il a besoin du contact avec Dieu, son Père. Tout le monde te cherche disent ses amis quand ils l’ont enfin trouvé. Ils ne savent pas encore qu’ils annoncent une prophétie : le monde entier cherchera à être guéri quand il aura compris la force de résurrection de Jésus, ‘Dieu sauve’…
Et ça bouge à nouveau, vers les villages voisins et dans toute la Galilée. Allons ailleurs, afin que là aussi je proclame l’Évangile, car c’est pour cela que je suis sorti.
Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile, s’écriera saint Paul une vingtaine d’années plus tard. Une nécessité qui s’impose à moi, une mission qui m’est confiée. Et lui aussi bouge beaucoup, de Jérusalem à Damas, d’Ephèse à Thessalonique et de Corinthe à Rome…
Simon et ses amis sont partis à la recherche de Jésus puis ils l’accompagnent. Paul qui le poursuivait en a été renversé. Peut-être nous aussi avons-nous d’abord à chercher le Christ, à nous mettre à son écoute, que ce soit avant l’aube ou dans une endroit désert, dans un monastère ou en pleine ville, peu importe l’endroit et le moment, sans négliger le rendez-vous du dimanche et de la proclamation de l’Évangile.
En ce temps de crise sanitaire, on s’interroge sur la place de l’Église dans la société et le rôle des chrétiens. Il apparaît plutôt timide dans l’espace public et dans les médias. Beaucoup de personnes, âgées ou jeunes, travailleurs de l’hôtellerie, métiers de contact, etc. connaissent comme Job des mois de néant et des nuits de cauchemars. Si nous suivons l’exemple de Jésus selon St Marc, la première chose à faire est sans doute de commencer nos journées par la prière. Mais il ne suffit pas de prier. Comme Jésus qui guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies. Me reviennent à l’esprit le programme de Taizé quand j’y allais avec des groupes de jeunes : lutte et contemplation. L’une ne va pas sans l’autre. Les uns, qui sont davantage consacrés à la prière, ne peuvent pas ignorer ceux qui s’engagent dans les combats de tous les jours, que ce soit dans la lutte pour la santé, l’éducation ou le bien-être – et ces derniers garderont la force et le souffle nécessaires en prenant du recul, en se tournant vers le Seigneur ou vers les églises… pourvu qu’elles soient ouvertes !
Car l’ennemi numéro un, que le pape François ne manque pas de rappeler, c’est l’indifférence.
Oui, l’Évangile nous fait bouger …
Abbé René Rouschop
Lectures de la messe :
Jb 7, 1-4.6-7
Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7
1 Co 9, 16-19.22-23
Mc 1, 29-39
Prière inspirée des lectures du jour
Seigneur, aujourd’hui nous faisons nôtre la prière de Job.
Cette prière est celle de millions de nos contemporains écrasés par le malheur, la souffrance, la trahison, le non-sens et la vanité de tous leurs efforts pour tenter de mener une vie digne de ce nom.
Cette prière est aussi la nôtre car nous sommes nous-mêmes, certains jours, confrontés à l’absurdité de la vie et tentés par le découragement et le désespoir.
Mais nous savons que ces cris, ces gémissements, ces mots de révolte ne résonnent pas dans le vide intergalactique. Nous savons qu’ils touchent le cœur de notre Père, comme lorsque toi-même, sur la croix, tu priais les mots du Psaume 21 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Pourtant, pas de réponse immédiate, pas de coup de baguette magique qui viendrait tout effacer comme un mauvais rêve. Mais depuis Gethsémani, nous savons que toute souffrance est habitée par une silencieuse présence.
Pour que nous puissions communier à Toi, Jésus, il a fallu d’abord que tu communies à nos joies et à nos douleurs, même les plus extrêmes. C’est pourquoi nous savons, avec Saint Paul, « qu’en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. Ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni l’épidémie ni le confinement, … rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est manifesté en toi, Seigneur. »
Pistes de réflexion pour la semaine
Il est bon de fêter notre Dieu, il est beau de chanter sa louange !
Dans la première lecture, Job nous dit – en d’autres mots – que la vie est méchante.
Alors le psaume du jour lui répond, comme en écho : « Chante ! Chante ! Chante !».
La louange nous libère de la lassitude, du découragement qui nous referme sur nous-mêmes. Elle dilate notre cœur et notre esprit aux dimensions de la création.
La psychologie elle-même nous l’apprend : celui qui se centre sur sa douleur ne fait que l’amplifier. La liturgie nous invite sans cesse à nous décentrer de nous-mêmes pour nous remettre en communion avec le monde, les autres et Dieu lui-même.
Quand nous avons le moral dans les chaussettes, le psaume du jour nous invite à louer, à chanter, à danser, à exulter de joie. Quand nous sommes dans l’exaltation et la béatitude, le psaume suivant nous plonge dans la prière du pauvre et du malheureux en plein désarroi.
À travers tous ces moments de désolation et de consolation qui se succèdent – pour reprendre un thème cher à Saint Ignace – nous sommes invités à déplacer progressivement notre centre de gravité de notre petit « moi » vers notre cœur profond et vers le cœur de Dieu lui-même. Nous nous mettons à son diapason et nous commençons à entrevoir que joie et peine, bonheur et souffrance ne sont peut-être pas aussi inconciliables que nous le pensions.
Et si c’était vraiment cela la Bonne Nouvelle ?
Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile !
Alors oui, cette bonne nouvelle, nous aurons à cœur de la partager, non seulement par nos paroles, mais aussi et surtout par notre façon de vivre. Elle débordera de nous à la façon d’un trop plein, jusqu’au jour où quelqu’un nous demandera : « c’est quoi ton secret ? »
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert,
et là il priait.
« C’est quoi, ton secret, Jésus ? » ou plutôt : « c‘est qui ? » Les disciples l’ont cherché partout : il y a encore plein de malades qui attendent d’être guéris, plein de gens qui voudraient l’entendre, car depuis la veille, évidemment, le téléphone arabe a bien fonctionné. Mais Jésus ne se laisse par dominer par l’urgence de la mission à accomplir, il prend le temps de se recentrer. Son centre de gravité à lui, les disciples le découvriront peu à peu, c’est sa relation unique avec Celui qu’il appelle « Abba ». Jésus fera grandir chez ses disciples le désir d’entrer à leur tour dans cette intimité filiale avec le Père, jusqu’à ce jour où ils lui demanderont : « Jésus, apprends-nous à prier ! »
Thomas Merton, un moine trappiste américain, a donné à l’un de ses livres ce très beau titre : « Nul n’est une île ». La prière personnelle et ecclésiale nous met en relation avec les autres et avec Dieu, elle nous sort sans cesse de notre isolement. Alors ne restons pas confinés spirituellement !
Pierre Boland