Le soleil nous offre sans compter sa lumière et sa chaleur, mais nous savons bien que nous exposer à lui trop longtemps et sans protection peut nous brûler la peau et même nous tuer.
Parallèlement, le livre du Deutéronome nous enseigne aujourd’hui quelque chose d’important : à savoir que le Transcendant ne peut se communiquer sans médiation à l’être fini que nous sommes.
» Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir. » Saturation d’une révélation divine à trop forte dose. Dieu lui-même acquiesce à cette demande de grâce avec l’annonce d’un prophète qui parlera comme un homme et qui sera médiateur. Le Transcendant ne nous est donc accessible que par une médiation : un texte, un symbole, un événement, une liturgie, un prophète, et pour nous le Christ, médiateur par excellence. Il nous apprend le chemin de l’onction. Il nous divinise doucement au rythme de notre conversion et de notre compréhension dans la relation filiale qu’il nous permet d’avoir avec le Père dans l’Esprit. Ce n’est pas une fusion immédiate, mais une relation transformante de notre être, qui demande du temps et un investissement personnel.
Bref, tout Dieu d’un coup, c’est très mauvais… Comme dans la grande vadrouille. » Vous aimez tout ce qui est bon, c’est très mauvais! »
Mais en lisant la deuxième lecture, on pourrait dire aussi : Tout l’homme d’un coup n’est pas meilleur ! Si saint Paul veut brûler les étapes et nous conduire à Dieu d’une pièce et de façon exclusive en conseillant le célibat pour Dieu à ses lecteurs, on peut y voir un certain danger et une tendance possible à l’idolâtrie, au mépris du mariage, du corps, de la sexualité. Mais l’apôtre veut peut-être simplement nous sortir des automatismes, de la routine sociale, des mariages forcés ou obligés, des jeux de pouvoir, de séduction, de possession, fusion et confusion de la vie relationnelle et affective pour nous faire découvrir la liberté de l’Esprit saint, une liberté qui ouvre à l’amour universel et désintéressé qu’on appelle agapè. Voilà bien la clé de la connaissance : l’amour.
Il serait certes dommage de patauger dans une mare en la prenant pour l’océan, mais n’oublions pas que le célibat, s’il n’est pas irrigué par l’amour, devient vite un désert aride et que la vie conjugale est aussi un chemin de sainteté. L’important est d’écouter et de suivre l’Esprit du Christ qui s’adapte à chacun selon son histoire.
Cela nous rappelle que notre recherche et notre approche de Dieu ont besoin d’un guide, d’un enseignant, d’un pédagogue. C’est bien le rôle que joue Jésus dans l’évangile de ce jour. Dans le texte, Jésus et ses disciples entrent; l’esprit impur sort. Le mot « enseignement » revient quatre fois; le mot « autorité » deux fois : au début et à la fin.
L’autorité de Jésus est mise en contraste avec deux types de savoir. D’abord celui des scribes : ceux qui savent et qui ont les outils du savoir n’enseignent pas avec autorité parce qu’ils savent trop et remplissent tous les espaces de leur savoir. Ils ne peuvent imaginer un lieu où leur savoir n’aurait pas de prise ou de maîtrise, un ailleurs…
Ensuite le savoir du démon impur. Lui sait encore mieux que les scribes et dit même apparemment la vérité : « Je sais qui tu es, le saint de Dieu ! » Mais sa vérité n’a aucun impact sur sa vie, sur son salut. Son savoir ne le fait pas vivre puisqu’il voit en Jésus un concurrent qui veut le perdre et pas un médiateur qui vient le libérer.
Au contraire, les auditeurs se sentent emportés par l’enseignement de Jésus parce qu’il les dé-livre du monde de certitudes des savants et parce qu’il les libère du sentiment que Dieu est un rival, vieux mensonge du serpent des origines.
En les faisant sortir de cette méfiance primordiale, Jésus fait grandir ceux qui l’écoutent dans la confiance, il les déplace vers un » ailleurs », source qui demande interprétation et implication personnelle. Par cette autorité, Jésus devient pour nous ce guide, ce médiateur, ce pédagogue qui établit notre volonté dans son désir pour nous tourner dans la joie de l’Esprit vers ce Père transcendant, encore tout à l’heure inaccessible.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Dt 18, 15-20
Ps 94 (95), 1-2, 6-7abc, 7d-9
1 Co 7, 32-35
Mc 1, 21-28
Prière inspirée des lectures du jour
Dans la liturgie byzantine, la procession des offrandes est scandée par la très belle hymne dite « des chérubins », qui nous rappelle que la liturgie terrestre est le reflet de la liturgie céleste :
« Nous qui, dans ce mystère, représentons les chérubins et chantons l’hymne, trois fois sainte, à la vivifiante Trinité, déposons maintenant tout souci du monde. »
Seigneur, nous sommes nous aussi, certains jours plus que d’autres, tourmentés par les soucis et l’esprit du monde au point d’avoir peur de Toi, comme l’homme que tu as rencontré aujourd’hui à la synagogue : « Jésus, es-Tu venu pour nous perdre ? »
Alors Tu nous rejoins, Tu imposes le silence à ces voix discordantes et Tu rétablis l’unité profonde de notre être, nous passons de la peur de Toi à la confiance en Toi ; la seule crainte qui demeure est celle d’être à nouveau privés, par notre faute, de la joie d’être aimés de Toi et de pouvoir T’aimer à notre tour.
Garde-nous dans cet Amour que tu as reçu de ton Père et que tu nous as toi-même donné en venant partager notre humanité, de la joie des mariés à Cana aux souffrances des condamnés sur la Croix, de l’errance sans but des disciples d’Emmaüs à la joie pascale des apôtres ayant reçu l’effusion de ton Esprit à la Pentecôte.
Pistes pour notre semaine
Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez.
Aujourd’hui encore, le Seigneur nous parle à travers des frères et des sœurs. Il y a, bien sûr, notre pape François et nos évêques, dont c’est la mission d’annoncer l’Évangile pour notre temps. Mais chaque baptisé a reçu l’Esprit de Jésus et peut lui-même devenir à son tour pro-phète, porteur d’une parole de Dieu pour son frère ou sa sœur : parole de pardon, de consolation, de vie. Prenons conscience de l’importance de ce que nous disons : chacune de nos paroles peut créer des nœuds ou au contraire les dénouer, fermer des portes ou ouvrir un chemin. Soyons des messagers de bonne nouvelle.
Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité !
Ce qui est frappant, dans l’Évangile de ce jour, c’est que Marc au final ne nous rapporte aucune des paroles de Jésus. Et pourtant les gens sont frappés par l’autorité avec laquelle il enseigne, et tout autant par ses actes : il libère les hommes de ce qui les tourmente, de ce qui les empêche de vivre pleinement. C’est sa façon d’agir et l’adéquation de ses paroles et de ses actes qui interpelle ses contemporains. Prenons-en de la graine ! Comme le dit le frère Laurent Mathelot dans son commentaire de l’évangile publié dans Dimanche : « Je ne suis pas chrétien parce que, simplement, je le confesse ; je suis chrétien parce que je le donne à voir. Il n’est pas tant nécessaire de proclamer l’amour que d’aimer. »
Frères, j’aimerais vous voir libres de tout souci… afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
Le Christ veut nous libérer de tout ce qui nous tourmente, de ce qui nous préoccupe inutilement et nous empêche d’accueillir le don de sa vie en plénitude. Nos frères moines de Wavreumont ont fait le choix d’une disponibilité radicale pour accomplir – ou plutôt laisser s’accomplir en eux – ce que Saint Benoît appelle l’œuvre de Dieu. Par leur témoignage de vie, davantage encore que par leurs paroles, ils sont pour nous une invitation pressante à créer dans nos vies des espaces de silence et de désir, où la Parole de Dieu pourra faire son travail de gestation de l’être nouveau que nous sommes appelés à devenir, frère ou sœur de Jésus et enfant bien-aimé de notre Père céleste.
Pierre Boland