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Monition

L’enfant qui vient de naître cette nuit demandera un jour à son Dieu : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et vingt siècles plus tard, Amélie Nothomb lui fera dire : « C’est par amour pour sa création que mon père m’a livré. Trouvez-moi acte d’amour plus pervers » (Soif, Paris, Albin Michel, 2019, pp. 101-102).

Dans quelques minutes – encore un peu de patience –, saint Jean répondra à ces questions dès le premier verset de son évangile.

Bon, ça va, je ne vais pas vous laisser languir jusque-là. Je lève un coin du voile qui couvre la réponse : « Le Verbe était Dieu. » Dieu ne peut pas abandonner Dieu, Dieu ne livre pas Dieu, en se préservant lui-même.

Mais le Dieu unique s’abandonne à nous. Dieu se livre entre nos mains. C’est Noël.

Homélie

Il y va fort, saint Jean. C’est Noël, aujourd’hui, et nous l’avons déjà célébré cette nuit, tant bien que mal. Mais on a un peu l’impression ce matin que ce n’est plus tout à fait la même fête. Un peu comme si, après avoir fêté cette nuit la Nativité, nous fêtions maintenant l’Incarnation. La naissance de Jésus est un événement à portée de notre imagination : une naissance parmi d’autres, dans des conditions de grande précarité sans doute, mais c’est le cas de tant d’autres. Oui, nous dit saint Jean, mais il y a dans cette naissance autre chose : le Verbe s’est fait chair. Dieu s’est fait homme. Dieu ? Oui, Dieu, car le Verbe était Dieu.

Cette impression d’ouvrir les yeux sur autre chose, nous l’avons pareillement quand, après avoir lu trois évangiles, nous ouvrons le quatrième. C’est un peu comme si saint Jean, dans un avant-propos, nous présentait le programme de son ouvrage. Des évangiles qui racontent l’histoire de Jésus de Nazareth, vous en avez déjà trois, je ne vais pas vous en fournir un quatrième. Mais je vous propose de relire avec vous ceux que vous connaissez bien et, chaque fois que nous rencontrerons le nom de Jésus, nous le remplacerons par le mot « Dieu ». D’autres vous ont raconté les faits et gestes d’un homme qui a vécu parmi nous et, au cours de leur récit, a germé une question : mais finalement, cet homme, tout à la fois semblable aux autres et un peu hors du commun, qui est-il ? Qui est-il, pour que même la mer et le vent lui obéissent ? Et la réponse n’est venue que tout à la fin, dans la bouche d’un païen : « Vraiment, c’était le Fils de Dieu. » Eh bien, cette découverte de dernière minute, faisons-en notre clef de lecture. Relisons l’évangile comme l’histoire de Dieu parmi les hommes.

Jean ne nie pas l’humanité de Jésus, mais il ne perd jamais de vue qu’il est le Dieu que nul n’a jamais vu. Dès le premier verset, il dit tout ce qui fera l’originalité (et souvent la difficulté) de la foi chrétienne. Deux affirmations qui peuvent sembler paradoxales et qu’il faut toujours tenir ensemble. D’abord, le Verbe était auprès de Dieu, plus littéralement : le Verbe était vers Dieu. Tourné vers Dieu. Donc distinct de Dieu, assez autre pour pouvoir se tourner vers. Et en même temps, le Verbe était Dieu, identique à Dieu. Il y a bien une altérité, mais en même temps une identité. Sans division ni confusion, dira la théologie ultérieure. Quand Jésus parle à son Père, ce n’est pas un monologue. Il se tourne vers Dieu. Mais sur la croix de Jésus, c’est Dieu qui meurt. Et dans la crèche de Bethléem, c’est Dieu qui est emmailloté et couché. Le Dieu qui n’a pas de commencement est né cette nuit.

On n’est plus à une énormité près. Lisons encore quelques phrases de Jean, avant celle qui semble résumer le sens de notre fête. Le Verbe s’est fait chair, c’est Noël. Marie a mis le Verbe au monde. Pourtant, semble nous dire saint Jean, ce n’était pas vraiment nouveau. Car bien avant cela, le Verbe était dans le monde. Mais on ne l’avait pas reconnu. Il était venu chez les siens, mais les siens ne l’avaient pas reçu. On pourrait dire tout cela au présent : il est dans le monde et le monde ne le reconnaît pas. Nous avons une excuse : on ne le voit pas. Alors, un jour, et pour quelques années, Dieu s’est fait homme. On l’a vu, on l’a entendu, on l’a touché. Tellement bien homme qu’on ne l’a pas toujours bien reconnu, de beaucoup s’en faut. On ne peut pas tout avoir. Et cependant l’invisible s’est rendu visible à nos yeux. C’est Noël.

Fr. François Dehotte

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Lectures de la messe :
Is 52, 7-10
Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4, 5-6
He 1, 1-6
Jn 1, 1-18

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